Une question récurrrente : on s’entraine, mais… Est-ce que cela marche ? L’incertitude de la réponse pousse de nombreux pratiquants à papillonner de pratiques en pratiques à la recherche d’une affirmation acceptable. Wayne Muromoto nous expose son point de vue sur ce sujet et comment l’état d’esprit du guerrier conditionne l’efficacité de l’entrainement.
Mais… Est-ce que cela marche ? – Le mental du guerrier
Par Wayne Muromoto. Traduit et re-édité avec la permission exclusive de Wayne Muromoto, tous droits réservés. Article original « But… Does it work ? The warrior’s mind ».
L’autre jour, je suis passé devant un dojo où un groupe d’étudiants de karaté pratiquaient consciencieusement leurs coups de pied et de poing. Ils avaient l’air très bien dans leur beau karategi blanc traditionnel, mais après quelques secondes d’observation, j’ai présumé qu’aucun d’entre eux, même pas leur instructeur ceinture noire, n’avait un coup de pied ou de poing qui me ferait chavirer d’un « coup fatal ». Et c’est peu dire, parce que je suis un vieux bonhomme vieillissant de plus de 50 ans.
Alors … Est-ce que le karaté traditionnel ne fonctionne PAS ? Est-il vrai que les seuls arts martiaux vraiment applicables sont ceux, plus « rock and roll » où vous vous projetez, mélez et faite la différence, comme le judo ou le jujutsu brésilien, ou les pratiques de type MMA ?
Eh bien, puisque ceci est mon blog et mon avis (the classic budoka), je dirais que pour la majorité des gens dans un dojo comme celui que je ai vu, pas vraiment. Mais de peur que vous pensiez que Wayne est passé du côté obscur de la force, je dirais que peut-être presque le même pourcentage de pratiquants de MMA et d’autres arts martiaux non traditionnels est également incapable de vraiment faire la différence.
Voici la triste vérité comme je la vois. Qu’il s’agisse de combats modernes de MMA en cage ou budo traditionnel, la majorité des pratiquants aux États-Unis (je ne peux pas dire si mes observations sont bonnes en dehors des États-Unis) vont probablement être médiocres quand il s’agit vraiment d’une situation de combat avec une contrainte forte. Seront-ils mieux lotis que s’ils n’avaient pas eu LE MOINDRE entrainement du tout ? Peut-être. Et cela vaut pour moi-même. Je ne peux pas vraiment dire que je serais le dernier homme debout dans un affrontement violent, et je ne parle pas d’une querelle d’ivrognes à propos d’une bière renversée. Je parle d’une situation de vie ou de mort.
Je dirais, cependant, que toutes choses étant égales par ailleurs, peut-être un judoka ou un pratiquant de MMA pourrait avoir un peu plus de chance de survie en raison de la formation de haut niveau en endurance qu’ils subissent, et qu’en moyenne les pratiquants actifs de judo, karaté ou MMA sont plus jeunes et plus résilients, et qu’étant plus jeunes, ils sont capables de s’entraîner plus fort et plus longtemps. Mais retirez les facteurs de jeunesse et de temps d’entrainement, et je dirais que tout type de formation en arts martiaux, en moyenne, vous donnera seulement une légère meilleure chance de survie.
A MOINS QUE … (il y a toujours une mise en garde avec moi) … A moins que vous vous entraîniez avec une intention réelle. Je ne veux pas dire de vous affronter l’un l’autre avec une bouteille de bière dans la pratique et de fracasser le crane de votre partenaire si il / elle ne parvient pas à bloquer correctement votre attaque. Ce que je veux dire par intention réelle c’est une réelle attention et intensité mentale. En d’autres termes, vous pensez vraiment vraiment ce que vous faites lorsque vous pratiquez, et vous ne valsez pas comme deux concurrents dans « So You Think You Can Dance” (émission americaine qui passe en France sous le titre « Tu crois que tu sais danser »).
Si vous lisez des livres de gens qui font de la recherche réelle dans la survie et le combat en situation de stress (et non les livres par « des prétendus connaisseurs » posant avec un pantalon de camouflage et de courts petits couteaux), des livres par des gens comme le lieutenant-colonel Dave Grossman (On Combat, http://www.killology.com) et Ben Sherwood (The Survivors club), vous noterez que dans de nombreuses situations de survie extrême et de combats sous stress élevé, le facteur majeur pour la survie n’est pas physique (bien que l’entrainement répétitif à la survie et au combat aide), mais mental. Vous devez avoir un «esprit de survivant» ou un «mental de guerrier».
Pour certains, dingues ignorants illettrés, cela signifie être un tueur psychopathe froid comme la pierre, dernière étape avant l’anarchie. Vous savez, comme ces méchants dans le vieux « Karate Kid »: « Oui Sensei! Pas de pitié, sensei! ». Il y a, malheureusement, des gens dans notre milieu qui n’ont pas de barrière mentale qui les empêche de blesser d’autres personnes. Ils n’ont pas de scrupules quand il s’agit de tuer, mutiler, voler ou blesser d’autres personnes. Ce n’est pas l’esprit d’un guerrier. C’est être un psycopathe.
Mais ce n’est pas du tout le cas lorsque vous disséquez ce que des écrivains comme Grossman et Sherwood disent. Ce qu’ils disent, c’est que par une formation appropriée, le mental ainsi que le physique sont conditionnés à être prêts et à réagir convenablement sous la contrainte, sans paniquer. Dans des situations de stress élevé, notre corps passe par des changements physiques documentés, y compris la libération d’hormones qui peuvent stimuler notre cerveau de différentes manières. Nos nerfs réagissent pour le combat, la fuite ou pour rester figer comme une impulsion, provoquée par des milliers d’années d’empreinte génétique. Notre respiration devient plus rapide, notre vision se rétrécit, nos battements de coeur augmentent et notre sang est inondé avec des hormones qui nous poussent soit à courir aussi vite que nous le pouvons, soit combattre notre attaquant, ou s’immobiliser dans l’incrédulité car « cela ne peut pas se produire, cela ne peut pas arriver! »
Faire réagir notre corps et notre esprit puis les amener à prendre la bonne direction afin de survivre à une situation de combat ou de survie nécessite deux choses: une préparation appropriée et un état d’esprit approprié. En ce qui concerne la préparation, cela peut signifier un entrainement adéquat en budo ou en arts martiaux. Qu’il s’agisse de budo classique ou une formation de type MMA, si votre corps a été correctement formé de manière répétitive dans des situations de combat ou semi-combatives, vous devriez être un peu préparé physiquement à faire quelque chose. La préparation à une situation de survie, comme Sherwood l’expose d’incidents réels, peut être aussi simple que de savoir où les sorties sont dans un avion avant qu’un accident ne se produise, ou boucler votre ceinture de sécurité avant de conduire sur ce tronçon très accidentogènes de la route, ou éviter une ruelle obscure parce que vous avez entendu qu’elle est fréquentée par des agresseurs tard dans la nuit.
Avoir l’état d’esprit approprié, ce que Grossman appelle un « esprit de guerrier » est d’être capable d’avoir une certaine quantité de contrôle sur vos pulsions inconscientes instinctives avec votre esprit cognitif, même au milieu du chaos et du « brouillard de la guerre », de la violence ou d’un incident traumatique.
Les partisans d’arts martiaux de type sportif décrient souvent la pratique des arts martiaux «traditionnels» parce qu’ils perceivent le kata geiko (pratique de «formes» prédéfinies) comme « irréaliste ». Cependant, vous pourriez classer beaucoup d’entrainements que les unités modernes de police et les unités militaires réalisent comme du kata geiko. Courir à travers un environnement urbain simulé en tirant sur des cibles est une forme de kata geiko par exemple. Les répétitions des procédures d’évacuation des agents de bord est du kata geiko. Si, donc, le kata geiko n’est pas du tout bon, pourquoi est-il encore utilisé comme une forme majeure de pédagogie dans les systèmes modernes de formation de combat et de survie?
Dans les budo, le kata geiko remplit la même fonction, plus ou moins, que dans les systèmes les plus modernes d’entrainement. Sans être mis en danger réel, le kata geiko offre un minimum de sécurité pendant que l’étudiant effectue des mouvements physiques qui peuvent être nécessaires dans des situations de stress élevé. En répétant l’entrainement à plusieurs reprises, les mouvements deviennent presque instinctifs. Avoir des mouvements qui soient instinctifs est une bonne chose, parce que dans des situations réelles, le cerveau cognitif peut «geler» ou bloquer. Donc, si vous prenez trop de temps à penser, « Eh bien, je dois faire un poing. Voyons, fermer mes doigts, le pouce sur les autres doigts, poussée sur le poing, frapper le gars avec les doigts de mon poing juste en dessous de son nez … » C’est trop à penser, surtout quand une partie de votre cerveau crie, « Oh mon Dieu, Oh mon Dieu, il essaie de me tuer! Je ne peux pas le croire ! Laissez-moi sortir d’ici ! »
Non, vous avez juste à frapper votre attaquant au visage, sans avoir à penser à comment vous allez former un poing et donner un coup.
La faiblesse du kata geiko pour les étudiants de budo classique est qu’il peut devenir une danse. Il peut être dépouillé de sa combativité, son intention, sa gravité. Si vous ne pratiquez pas un kata de karaté avec une concentration et une intention correcte, et ensuite envoyez un coup en demi-teinte à votre attaquant et qu’il est encore debout, vous êtes vraiment dans la merde profonde.
De peur que la foule du MMA et du sport se moquent des pratiquants de kata, il y a aussi un danger à trop d’entrainement sportif fait dans le mauvais sens. Encore une fois, si vous traitez votre entrainement trop comme un sport, alors que vous pouvez obtenir beaucoup de conditionnement physique, mais vous ne pouvez pas obtenir le bon état d’esprit pour un événement de combat ou de survie. Une confrontation violente ou la survie réelle n’est pas un sport. Il n’y a pas de règles, pas cibles non permises, pas de coins neutres. « Jouer » à un art martial comme si c’était un jeu n’aide pas le développement d’un état d’esprit approprié.
C’est pourquoi, je suppose, quand j’étais un jeune judoka, le judo était traité très différemment qu’il ne l’est habituellement aujourd’hui. J’en ai parlé une fois avec un ancien instructeur de judo. Nous avons tous deux médité sur les différences dans l’intention. Dans l’ancien temps, me dit-il, nous n’aurions simplement jamais déambulé au large des tatamis pour boire de l’eau et s’allonger entre les matchs. Nous avions à nous tenir droit et nous concentrer sur la pratique. C’est parce que, je me rends compte maintenant, le judo conservait un sens de budo; il essayait toujours de développer un esprit de guerrier, pas un esprit sportif.
Le sensei de judo haussa les épaules et continua à commenter. Aujourd’hui, a-t-il dit, les élèves ne se soucient pas de marcher autour du tatami, de gober du Gatorade ou de l’eau à partir de bouteilles d’eau, de se coucher sur le dos et de parler aimablement avec d’autres. « Eh bien, » a-t-il conclu. « C’est un sport. Que puis-je dire ? Ce n’est pas comme dans les vieux jours. Nous ne pouvons pas les forcer à endurer, à faire shugyo (discipline mentale et physique sévère). »
C’est encore pire si vous parlez des types d’exercices aérobiques qui utilisent des mouvements « martialesques » comme des coups de pied, coups de poing et des blocages. Tous les exemples que je ai vus ne m’ont pas convaincu qu’il y ai l’ombre d’une utilité réelle dans une situation de combat. Le but de ces exercices est principalement pour l’exercice aérobique pur. Dans la plupart des cas, je vois la plupart des pratiquants exécuter des mouvements avec des formes terribles, des kime (concentration) pauvres et avec très peu de génération de force réelle au point d’attaque.
Une star de cinéma a témoigné qu’après avoir fait une forme de kick-boxing aérobique, il se sentait confiant pour « botter des culs ». Je ne crois pas. Il avait l’air assez bien en collants spandex sautillant, mais pour autant être vraiment capable d’arrêter quelqu’un sur ses rails avec ses mains nues… Euh, non.
Malheureusement, que ce soit un budo classique ou des arts martiaux modernes de type MMA, vous ne pouvez pas forcer quelqu’un à développer un « esprit de guerrier ». Vous pouvez les encourager à se concentrer sur l’entrainement, mais il est difficile de juger de l’extérieur de l’intention, de la concentration ou de la préparation mentale. Vous ne pouvez que le suggérer à d’autres, et vous préparer vous-même mentalement, à de telles situations de la vie réelle.
Pour en revenir à ce club de karaté avec les mauvaises techniques: ce que je vais dire, c’est que les membres semblaient essayer durement. Un certain type d’entrainement est mieux que rien, et peut-être qu’étant donné d’où ils partaient, les membres ont parcouru un long chemin dans leur dextérité. Je ne saurais dire. Donc c’était de la merde. Mais peut-être qu’ils étaient meilleurs que s’ils n’avaient rien fait du tout. Je dois leur accorder ça.
Mais la plus grande erreur pour tout étudiant d’arts martiaux est d’être béat. Exécuter les kata de manière foireuse ou « jouer » au randori ou au combat au sol sans concentration et intention sont tous deux préjudiciables au développement de « l’esprit du guerrier ». Je ne dis pas que tout doit être stoïquement, mortellement, ennuyeusement grave. Non, ce que je dis, c’est que la pratique, que ce soit le kata geiko ou du « sparring » libre, devrait être concentrée et réfléchie, et il ne faut jamais être satisfait de ce que vous pouvez faire. Vous devez toujours chercher à vous améliorer d’une façon ou d’une autre. En s’efforçant à s’améliorer, l’esprit est activement engagé dans le rodage des mouvements, à faire attention à ce qui se passe. En vous concentrant lors de la pratique, vous vous concentrez à entrainer l’esprit et le corps à avoir des mouvements propres et des réactions « qui vous collent » mentalement et physiquement, avec de moins de moins d’effort.
Ceci, pour moi, est avoir un « esprit guerrier ». Et peut-être, juste peut-être, vos techniques POURRAIENT fonctionner.
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Wayne Muromoto est l’ancien éditeur de Furyu et Furyu online, il tient aujourd’hui un blog sur les arts martiaux : the classic budoka. Il est aussi pratiquant de Chado (cérémonie du thé), possède la licence chu-mokuroku dans l’école Bitchu-den Takeuchi-ryu et est un élève de Ohmori Maso en Muso Jikiden Eishin ryu iaijutsu. De plus, il a de l’expérience en judo, aikido, karatedo, t’ai chi ch’uan, jodo, kendo et iaido (sandan dans ce dernier art).
J’ai adoré cet article en français… Merci beaucoup
Ravi que l’article vous ai plu, je prépare une autre traduction du même auteur d’ici la fin de semaine.