S’il ne fallait retenir qu’un trait de personnalité nécessaire aux étudiants d’arts martiaux, ce serait Nyunanshin, l’esprit souple et flexible. Retirons tout de suite tout contresens moderne : il n’est en rien une acceptation de tout sur un même niveau ou sur un pseudo égalitarisme démocratique (la réflexion moderne du « il faut garder l’esprit ouvert »). Nyunanshin est l’esprit souple et flexible : surmonter son expérience antérieure et ses idées préconçues, et accepter de recevoir.
Son application recouvre différents aspects. Ainsi Nyunanshi s’exprime lorsque le sensei demande à l’élève de pratiquer d’une certaine façon ou certains exercices sans que ce dernier en comprenne la finalité. Il faut parfois simplement faire, plutôt que réfléchir au pourquoi de l’action (un peu comme une expérience sociale n’est valide que si on n’en connait pas l’existence); être dans l’action, plutôt que dans la questionnement de l’action. Et pour parvenir à celà, il faut un esprit flexible qui accepte la nouveauté sans remise en question immédiate, ce qui implique aussi de faire confiance à son sensei (et donc nécessité de bien choisir ce dernier).
Nyunanshi est aussi primordial pour les adeptes expérimentés qui découvrent un autre art martial. Nyunanshi, c’est répéter au mieux de ses capacités ce que demande le professeur sans émettre de comparaison avec ses pratiques précédentes. L’esprit doit être flexible pour accepter ce nouveau contenu sans le formatter aux connaissances antérieures. Pas de « Ah c’est comme en … », « ça ressemble à … », « on a quelque chose de similaire… » . Penser et explorer les ressemblances, c’est sans le savoir reproduire ce que l’on connait (zone de confort) et ne pas apprendre ce que l’on nous indique. Le défaut est pernicieux car le pratiquant ne s’en rend souvent même pas compte.
Est-ce que cela ne vous rappelle pas des stages « inter styles » ou « tout public » où les participants pratiquent peu ce que le professeur montre mais ramènent au contraire leur propre pratique sur le tatami ? (c’est terrible, sans même regarder le professeur ou savoir ce qu’il enseigne, d’observer le tatami et de pouvoir dire : lui fait là du ninjutsu, cet autre fait une technique similaire d’aikido… Mais personne ne tente vraiment de répliquer la technique du professeur. Personne n’apprend. )
Donn Draeger écrivait dans Comprehensive Asian Fighting Arts (1969) qu’on ne permet à un élève d’une ryu traditionnelle « aucune originalité et on attend qu’il apprenne à accepter tous les enseignements qui lui sont donnés : il doit apprendre à faire preuve de nyu-nanshin ou le manque de « dureté / résistance », aux directives du directeur ».
Pourquoi est-ce si compliqué de garder cet état d’esprit souple et flexible ?
- Inconsciemment le cerveau cherche à rapprocher toute nouveauté de ce qu’il connait. Il fait des « pattern »; un excellent moyen de survivre au cours des millénaires : si on a déjà une réponse à un problème donné, le cerveau sait quoi faire et réagit plus vite. Il regroupe, classifie, simplifie, pour donner une réponse déjà connue. Tant pis si il a fallu accepter qu’un carré soit un cercle avec des bords moins ronds.
- la sécurité : s’appuyer sur ce que l’on connait, c’est évoluer dans sa zone de confort.
- Bien plus consciemment, l’égo nous attend au tournant. Montrer que l’on sait. Là il sera difficile de progresser car comment apprendre si l’apprenant se place de fait sur le même plan que l’instructeur. Pour reprendre une image chère au Zen : vider sa tasse n’est pas une question de limite de stockage mais bien un problème d’égo (« Comme cette tasse, vous êtes trop plein de vos propres opinions et spéculations. Comment pourrais-je vous montrer le Zen si vous ne commencez pas par vider votre tasse ? »)
Est-ce à dire que l’étudiant ne doit pas interroger la technique ? Non. Il le fera dans le cadre de la progression Shu-Ha-Ri. Mais l’acquisition, la transmission en elle-même, doit être un process souple et fluide sans opposition mentale. Ne peut-il poser des questions ? Bien sûr (en tout cas nous l’encourageons dans l’école), et ce afin de mieux comprendre, saisir et intégrer la technique.
La frontière est parfois mince entre la question visant à comprendre, et la fausse question élaborée pour montrer que l’on croit savoir. Nyunanshi, doit traduire une volonté d’apprendre par une réception dépourvue de pré-conception et d’opposition mentale.
Un dernier mot avant de vous laisser à vos réflexions : jujutsu, 柔術, couramment traduit par art de la souplesse et qui se matérialise dans des stratégies physiques et mentales, serait déjà bien amputé sans capacité à conserver un esprit souple et flexible dans son apprentissage.
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