L’entrainement dur et physique où on donne le maximum de puissance et de vitesse à nos mouvements est souvent le cliché qu’ont les gens d’un entrainement « qui marche » ou qui donnerait les meilleurs résultats. Cette image dans le pire des cas amène à décrier certains arts martiaux ayant une approche moins « dure » (l’Aikido étant souvent cité en exemple). Dans un moindre mal elle génère chez le débutant (et les moins débutants) une volonté de rapidement incorporer de la vitesse ou de la force (parfois à l’aide de la musculation)… Mais ce qui parait au départ sans conséquence (argumentant inconsciemment que « j’apprendrais à être plus souple, plus fin lorsque l’énergie de la jeunesse déclinera »), pourrait s’avérer beaucoup plus problématique dans la progression dans son art à long terme.
Pour traiter de ce sujet, je vous propose la traduction de « Training Hard And Training Well Are Not The Same Thing » du site The Budo Bum. Peter Boylan est un pratiquant de koryu et aussi un adepte de longue date du judo.
Bien s’entrainer et s’entrainer durement ne sont pas la même chose.
Par Peter Boylan. Avec sa permission exclusive pour la traduction. Article original : http://budobum.blogspot.fr/2014/07/training-hard-and-training-well-are-not.html.
Nous voulons tirer le meilleur parti de notre entrainement. Nous recherchons des gens qui s’entraînent dur et constamment se dépassent. Il semble évident que le plus dur vous vous entraînez, le meilleur vous serez. En judo, nous respectons les gens qui s’entraînent durement avec plus d’intensité que quiconque. Et toute cette sueur dégoulinante sur le tapis doit bien signifier quelque chose, n’est-ce pas?
Je pratiquais le piano et j’ai été frappé de constater qu’une de mes faiblesses était identique aux problèmes que la plupart d’entre nous ont au dojo en pratiquant le budo. Toute pratique n’est pas égale. Certains types de pratique donnent des rendements bien supérieurs sur le temps et par rapport aux efforts investis que les autres types d’entrainement. De mauvaises habitudes d’entrainement ou techniques sont une perte de temps. Pire, elles peuvent conduire à enraciner de mauvaises habitudes et techniques qui nous rendent plus mauvais à ce que nous étudions qu’avant que nous nous entrainions.

Etudes au piano : « FuseesLiszt » par Franz Liszt — Travail personnel. Wikimedia Commons – http://commons.wikimedia.org/wiki/File:FuseesLiszt.JPG#mediaviewer/Fichier:FuseesLiszt.JPG
Je pratiquais des études (NDT : en français dans le texte. Mot français pour, voyez-vous, les kata) qui sont des exercices fondamentaux pour l’entrainement des doigts au piano. Ce sont les exercices ennuyeux que tout le monde se pressent de finir afin que pouvoir attaquer le bon truc, la vraie musique, le vrai budo. Les études de musique sont comme la pratique du kihon waza en budo. Ce sont les mouvements fondamentaux que vous devez pratiquer au-delà de la capacité à les faire correctement, au-delà de la capacité à les faire correctement sans y penser, au point où vous ne pouvez pas les faire incorrectement.
La partie délicate est de les pratiquer correctement en premier lieu pour ne pas développer de mauvaises habitudes qui vous ralentiront plus tard. La première erreur, à la fois la plus courante et la plus grande, avec les études et les kihon waza est de les traiter comme de stupides exercices ennuyeux. Ces exercices enseignent à votre corps et votre esprit les fondements les plus importants de tout ce que vous ferez. Si vous essayez de vous précipiter, ou essayez d’éviter de penser à eux en pensant à votre linge ou votre travail ou vos amis tout en les faisant, vous serez probablement en train de mal les faire, et graverez ces erreurs dans votre chair.
Pour faire les bases correctement en tant que débutant, vous devez penser à la façon dont vous les faites. Lorsque vous avez cessé d’être un débutant, vous n’avez probablement pas besoin de réfléchir sur les notions de base lorsque vous faites des choses plus avancées, mais quand vous pratiquez les bases, vous avez toujours besoin d’y penser. Si vous ne le faites pas, vous risquez de laisser s’introduire des erreurs et de mauvaises techniques. Vous oubliez aussi tous les avantages qui viennent de la pratique consciente. Soyez conscient de ce que vous faites. Lorsque vous pratiquez les techniques de base, cherchez des choses qui peuvent être améliorées. En 100 répétitions vous serez chanceux si vous en avez 10 que vous aimez. Vous aurez également de la chance si vous en avez seulement 10 que vous détestez. Le reste sera quelque part entre les deux. L’objectif est d’être conscient de chaque répétition et d’essayer de tirer vos pires répétitions jusqu’à la qualité de vos médiocres, et de tirer les répétitions médiocres jusqu’au niveau des meilleurs. Comme tous les budo, c’est une activité sans fin, car dès que vous vous améliorez, vous commencez à essayer d’atteindre un niveau plus élevé.
Un autre écueil sur la voie de la pratique est la précipitation. Si vous avez déjà entendu un jeune (ou dans mon cas pas si jeune) musicien se précipiter dans une section du morceau, vous avez entendu combien la précipitation peut être mauvaise. Ne vous précipitez pas votre pratique, même si vous n’avez pas beaucoup de temps. Se précipiter pour faire les choses est pire que de ne pas pratiquer. Si vous ne pratiquez pas, vous ne vous améliorez pas, mais vous pouvez aussi ne pas prendre de mauvaises habitudes. Si vous précipitez quelque chose, alors vous le faites à la mauvaise vitesse, ce qui est tout simplement mauvais. Si vous n’avez pas beaucoup de temps, il suffit de faire ce que vous avez le temps de faire correctement. Lorsque vous vous précipitez, la forme correcte est la première chose qui est perdue. Vous sacrifiez aussi le rythme et le ressenti d’une bonne technique, et vous perdez la conscience de ce que vous faites. Dans ce genre de situation, vous entrainer ne peut que vous faire revenir en arrière puisque vous renforcez une forme mauvaise, un mauvais timing et une mauvaise pensée.
Une des parties les plus populaires de la pratique de judo est aussi l’une des plus grandes faiblesses de la pratique de judo. Le randori, ou le style de sparring du judo, est amusant, tellement plaisant que, souvent, les étudiants préfèrent le pratiquer que de travailler leurs bases. Il y a pourtant beaucoup de choses qui peuvent mal se passer avec le randori. Le premier problème est que tout est plaisir. Nous sommes tous sensibles à celui-ci. Il est facile de passer tout notre temps à faire les parties amusantes de l’entrainement, quelle qu’elles soient, et de négliger des parties qui ne retiennent pas notre attention et ne flattent pas nos coeurs. Cela est vrai dans tous les arts, même dans les koryu budo où il y a très peu de pratique de type sparring. Il y a des kata qui sont juste plus intéressants, et d’autres qui me frustrent jusqu’à ce que je sois prêt à crier parce qu’il me semble que je ne serais jamais capable de les faire correctement.
Une forme particulière de ce piège est de pratiquer ce à quoi nous sommes bons. Nous aimons pratiquer les choses auxquelles nous sommes bons, beaucoup plus que les parties que nous n’avons pas encore maîtrisées. J’aime faire harai goshi et tai otoshi en judo parce que je les fais mieux que toute autre chose. C’est exactement pourquoi je devrais en limiter la pratique. Le fait que je puisse les faire mieux que n’importe quoi d’autre devrait me dire combien j’ai beaucoup plus besoin de pratiquer tout le reste. Passez plus de temps à pratiquer ce à quoi vous n’êtes pas bon. C’est là que vous allez vous améliorer le plus.
Le deuxième problème avec le randori et les autres pratiques de sparring est la tendance des gens à aller de plus en plus vite au fur et à mesure que la session de randori se poursuit. Le randori est une forme d’entrainement, pas une compétition pour voir qui est le meilleur. Les gens oublient souvent ce point dans les 10 secondes qui suivent le début d’une session. Dès que vous arrêtez de penser au randori ou au sparring comme un exercice et commencez à le traiter comme une autre sorte de compétition, c’est la valeur de la pratique qui dégringole. Vous arrêtez d’essayer vos techniques plus faibles que vous devriez polir, et passez à vos techniques préférées. Les gens commencent également à se mettre sur la défensive parce qu’ils ne veulent pas perdre. En judo, cela signifie toutes sortes de mauvaises postures et la musculature pour éviter d’être projeté. Au contraire, ils devraient travailler à enraciner dans leur corps une bonne posture et de bons mouvements qui leur permettront d’exécuter une technique efficace.
Le troisième problème que je vois est que les gens ne font pas le randori avec un plan pour l’utiliser afin de devenir meilleur. Allez dans une session de randori avec un plan pour ce que vous voulez pratiquer et améliorer. Ne vous inquiétez pas de gagner et de perdre. C’est un exercice, ainsi vous améliorer est ce qui constitue gagner, pas de battre l’autre gars. Si tout ce qui vous inquiète est de gagner, vous avez déjà perdu la chance de vous améliorer, et pire encore, vous êtes susceptible de prendre de mauvaises habitudes dans l’effort pour gagner. Choisissez une technique que vous avez besoin de travailler et concentrez vous sur la recherche des conditions où cette technique s’inscrit dans le mouvement. Ou tout simplement travaillez sur la façon dont vous vous déplacez et ressentez les mouvements de votre partenaire. Prenez le temps de développer une compréhension des déplacements et des réactions des gens. Ces sortes d’entrainement rendront votre budo meilleur, poliront vos compétences et améliorer vos fondamentaux.
Choisissez la vitesse et l’intensité de votre pratique qui répondront aux points que vous souhaitez travailler. La lenteur est bonne pour certaines choses. La rapidité et la légèreté pourraient mieux fonctionner pour polir quelque chose comme les balayages de pied. Pensez à ce que vous voulez obtenir d’une session de randori ou de sparring, et comment vous devrez vous entrainer pour l’obtenir. Ne vous précipitez pas et ne jetez pas tout ce que vous travaillez par terre.
Quand vous faites tout pour gagner lors de la pratique, le mieux que vous pouvez espérer, c’est que vous gagnez sans développer de mauvaises habitudes. Vous n’obtenez pas mieux. Le pire qui puisse arriver est que vous développiez et ancriez de mauvaises habitudes du fait d’essayer de gagner et ne pas perdre, tout en développant une attitude contre-productive à propos des victoires et des défaites.
L’entraînement à intensité inférieure à 100% est difficile, parce que nous associons l’entrainement dur à un entrainement efficace. Cela est vrai lorsque vous travaillez sur le cardio ou le développement de la force. Vous n’améliorez votre condition physique que quand vous poussez les limites de ce que vous pouvez faire. Le plus vous transpirez, plus vous travaillez, le plus fort vous devenez et plus votre endurance augmente.
Lorsque vous travaillez sur la technique cependant, l’entrainement dur vient se mettre en travers du bon entrainement et peut se transformer en mauvais entrainement. Ajouter du muscle, ce que je continue à redécouvrir, n’améliore pas la technique. Curieusement cependant, ajouter des compétence techniques rend le muscle plus efficace. Il est intéressant de voir comment cela fonctionne. Afin de rendre votre force physique aussi utile et efficace que possible, il faut travailler à pratiquer sans elle. Une fois la technique lisse et fluide, alors vous pouvez essayer d’ajouter un peu de vitesse et de force au bon moment pour qu’elles soient utiles. La force et la vitesse ne sont pas toujours des avantages. Les utiliser au mauvais moment est une perte d’énergie et peut détruire l’efficacité d’une technique. J’ai eu beaucoup d’expériences pour trouver des moyens de faire foirer une très bonne technique, et ajouter de la force ou de la vitesse au mauvais moment est l’un des meilleurs.
Il y a un autre domaine où on succombe trop souvent à la tentation de pratiquer trop dur. C’est lors de la pratique des « vraies » techniques, comme les techniques de self défense. L’attrait de faire la technique aussi dur et aussi vite que possible parce que c’est de la self défense et que nous voulons être sûr que cela fonctionne est une tentation puissante. C’est encore plus irrésistible que les cookies de ma femme fraîchement sortis du four sur la grille de refroidissement quand elle a quitté la salle. Le problème est le même que dans le randori et le sparring. Nous pouvons commencer à nous appuyer sur de mauvaises techniques, trop de muscle et trop de vitesse, pour nous en sortir. C’est très bien jusqu’à ce que vous rencontriez quelqu’un avec une bonne technique, ou même juste quelqu’un plus rapide ou plus fort.
Une meilleure méthode consiste à pratiquer la technique à une très faible intensité. Quand vous devenez plus à l’aise avec elle, demandez à votre partenaire une légère augmentation de l’intensité. Quand vous pouvez faire la technique calmement et en douceur à la nouvelle intensité, demandez à votre partenaire de franchir une nouvelle étape. Finalement, vous serez en mesure de faire la technique calmement et en douceur avec votre partenaire attaquant aussi intensément que possible. Vous aurez une bonne technique, et vous serez habitué à maintenir une technique calme, détendue et efficace, même sous d’intenses et fortes attaques. Si vous sautez directement à des niveaux de travail de haute intensité, il faudra beaucoup plus de temps pour maîtriser la technique, si jamais vous y parvenez. Plus vraisemblablement vous allez développer de mauvaises habitudes pour compenser la compétence que vous n’avez pas encore, ce qui rendra le développement de la compétence d’autant plus difficile.
Entrainez vous lentement et travaillez-le. Il est facile de pratiquer des choses de mauvaise manière. La tentation est toujours présente de commencer à pratiquer fort, plus vite et plus intensément que votre technique ne le permet. Ne cédez pas. Entrainez-vous correctement de sorte que vous apprenez vraiment comment faire les techniques et à maîtriser votre art.
P.S.
Ce site a un très bel article sur l’entrainement d’un point de vue musical : http://www.musicforbrass.com/articles/art-of-practicing.html
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