
En observant la propension de certains pratiquants à aller à tous les stages de groupements peu connus (avec des titres qui impressionnent, et des grades qui brillent, hanshi, shihan, 7, 8e dan… de « Jujutsu » par exemple) et à peine voire faussement apparenté à leur pratique, je me remémorais une conversation avec l’un de mes sempais.
Il avait fait beaucoup de stages, souvent bien conscients de n’y trouver qu’une pratique assez commune sous des titres ronflants auto-décernés par les dites organisations. . Il ne multipliait pas les stages au détriment de sa pratique – il savait très bien qu’elle était sa pratique et multipliait littéralement les heures sur le tatami.. Il n’y allait pas pour « prendre des trucs », et les incorporer dans sa pratique – façon boite à outils disparate. Non, il était à l’écoute de ce qui se faisait autour de lui et toujours ouvert à apprendre d’un bon professeur à la technique singulière. Une denrée rare.
Par technique singulière, j’entends, l’aspect et le niveau technique qui font que la technique parait fausse et que, pourtant, Uke ne peut résister. En disant cela, j’ai presque dans ma tête cette démonstration de sensei Threadgill à la NAMT – contrôlant et redirigeant la poussée sur ses mains, l’exercice (kunren) fit beaucoup parler sur internet. S’il suffit de s’y essayer lors d’un stage public, cela ne convaincra pas les Thomas d’Aquin virtuels, tant pis (au sens : quelle importance ?). Les récits d’adeptes sont remplis d’histoires où ils décidèrent de suivre un maître suite à l’application d’une technique sans qu’ils puissent s’y opposer et/ou comprendre comment elle fut appliquée. Cela peut aussi être le cas d’un sabreur très expérimenté qui se retrouve impuissant face à un autre.
On parle là de professeurs au dessus de la moyenne commune de pratique des arts martiaux; dans l’Histoire, un certain nombre ont laissé des écoles derrière eux, ou aidé à faire resplendir leur école. Et sur la masse de pratiquants, il y a des adeptes de très haut niveau, plus qu’on ne voudrait parfois le faire croire. Mais la qualité technique du professeur ne fait pas toujours celle de ses élèves.
Or ce que scrutait mon sempai pendant ces stages, c’est la capacité de transmission. Nombre de ces adeptes ont la capacité à reproduire et affiner une technique sans construire mentalement un chemin précis pour y parvenir. La reproduction japonaise par mimétisme a ceci de bon que le professeur n’a pas besoin d’avoir compris comment il réalisait sa propre technique.
Vous n’y arrivez pas ? Refaites, répétez ça viendra.
Ok, mais si vous répétez de la mauvaise façon, sans être adéquatement corrigé, il y a peu de chances que vous parveniez à quelque chose même après plusieurs années (On attribue à Einstein, la citation « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent »).
J’en ai connus. Bons dans ce qu’ils faisaient, mais incapables d’exprimer et transmettre clairement les principes sous-jacents – modifiant même la technique selon leur (in-)compréhension partielle. Parfois des athlètes ayant adaptés la technique à leur capacité propre, mais pas des professeurs capables de former des élèves à leur égal ou les dépassant – faute d’un moyen cohérent pour faire acquérir la technique et ses principes.
A une époque, on utilisait cette image : si tu veux être champion de boxe, préfères tu travailler avec Mike Tyson, ou son entraineur ? Si la proposition a le mérite d’être simple – même simpliste – et binaire, elle évoque bien le sujet de ces quelques lignes. La qualité primordiale d’un professeur est sa capacité à transmettre à ses élèves.
L’alliance qualité technique / compréhension profonde / faculté à transmettre est une triptyque finalement peu commune, surtout lorsqu’on se tourne vers des pratiques très fines. Alors lors de tous ces stages, mon sempai ne cherchait pas à remplir sa tasse de liquides disparates, mais à déceler les adeptes de haut niveau capable de diffuser leur savoir.
Votre commentaire