Si le terme bujutsu n’est pas inconnu dans l’univers du budo, il est plus rare de rencontrer celui de sogo bujutsu.
Revenons d’abord sur bujutsu. Mot composé de bu, la guerre, et de jutsu, la technique, il se réfère aux techniques guerrières. On pourrait le traduire par art martial si on réduit ce dernier à sa dimension militaire (en excluant sa dimension défense civile voire de self-defense). Il est souvent employé à propos des arts japonnais anciens, ces derniers étant principalement destinés à la guerre avant l’époque Edo; période qui fut une longue période de paix où fleurît l’escrime civile et les jujutsu.
En ajoutant le terme sogo, on désigne des systèmes pluridisciplinaires intégrés. D’après Hunter B. Armstrong dans l’expérience des koryu bujutsu :
Si le guerrier voulait survivre contre ces armes et plus important encore, les dominer, il était impératif qu’il soit habile dans leurs maniements. De part les exigences de la réalité du champ de bataille la plupart si ce n’est toutes les koryu du début étaient des sogo bujutsu (systèmes/arts martiaux composites, pluridisciplinaires).
Conçus pour le champ de bataille, les arts traditionnels incorporaient l’entraînement à une variété de systèmes d’armes incluant la lutte avec armes et en armure.
Ils sont différents des budo modernes, ces derniers (aikido, judo, kendo, …) s’étant spécialisés dans une discipline ou un contexte de combat donné. Cette spécialisation était déjà semble-t-il entamée à l’époque Edo puisque les armes de sécurité civile (police) comme le jutte étaient fur à mesure préférées aux armes des champs de bataille (naginata, yari, …).
Le jujutsu dans la période Edo a changé en raison de l’ère prolongée de paix. Ces arts se sont adaptés pour répondre aux nouvelles réalités d’un environnement sans armure. Les anciens systèmes ont changé alors que plusieurs nouveaux systèmes ont été fondés. Ces écoles incluent toujours l’entraînement aux armes puisque les principes fondamentaux et les techniques d’armes étaient encore au cœur des systèmes martiaux. Certaines armes cependant ont commencé à tomber en désuétude à la faveur d’autres dû à cette nouvelle réalité. La fin de la guerre en armure a vu une diminution de l’utilisation du nagamaki (hallebarde à longue lame), de la yari (lance) et d’autres armes. Des armes telles que le jutte (matraque), tessen (éventail en fer), sode garami (arme d’hast pour attraper l’armure ou les vêtements), tanto et jo ont été plus favorisées. Les changements dans les techniques d’armes, qui étaient au cœur d’un art, ont également affecté l’application des techniques à mains nues. Finalement, les techniques à mains nues ont été développées plus de leur propre saveur en raison de la popularité des compétitions à mains nues. Cela a marqué le début des jujutsu ressemblant au judo et la fin de beaucoup de vraies traditions classiques.

Jutte, arme de police de l’époque Edo – wikipedia : http://en.wikipedia.org/wiki/File:Jutte_1.JPG
Pour avoir une idée de la spécialisation à l’époque Edo puis Meiji, il faut avoir à l’esprit que les anciens jujutsu n’étaient pas des pratiques sans armes :
L’idée moderne que les anciens jujutsu n’incluaient pas les armes comme au judo n’est pas correcte. La vérité est qu’il y a de nombreux arts de jujutsu qui sont fondamentalement différents. Les très vieux jujutsu portent de nombreux noms tels que yawara, kumiuchi, kogosoku, hakuda et koppo, etc. Généralement, ce sont de véritables koryu (écoles classiques martiales) et ont été conçus pour le combat sur les champs de bataille contre des soldats en armure. La plupart de ces systèmes ne sont pas très compliqués car ils étaient rapidement enseignés aux ashigaru (fantassins) et incluent des armes plus simples. Certains des systèmes les plus complexes incluent des techniques avancées et des armes telles que le kusarigama (chaîne et la faucille), le tanto (couteau), ou même le kodachi (épée courte). Ils ont été inventés afin que des samouraïs légèrement armés et protégés puissent engager avec succès des opposants supérieurement armés et protégés.
Aujourd’hui, seuls quelques-uns des systèmes de jujutsu de la période Edo comprennent encore un syllabus complet de bukiwaza (techniques d’armes). Fréquemment, cela est attribué à la popularité du judo moderne, dont l’intégration dans le système éducatif japonais a fortement influencé les écoles existantes de jujutsu dans le début du 20e siècle.
Ce désintérêt pour la pratique des armes (bukiwaza), qui s’accentua avec la fin de la caste des samurai et le port des deux sabres (1876), poussa même un médecin occidental Erwin von Baelz (1849-1913) a faire la promotion du kenjutsu :
Reconnaissant que le kenjitsu, l’ancienne escrime japonaise, était une excellente méthode gymnastique, j’ai recommandé sa reprise, mais cela fut désapprouvé et considéré comme un sport brutal et même dangereux. L’intérêt pour les anciennes méthodes d’escrime ne s’est pas ravivé avant que je ne prenne moi-même des leçons du plus célèbre maître d’escrime de l’époque, Sakakibara et que j’assure un peu de publicité dans les journaux afin de surmonter les préjugés.
Awakening Japan – Erwin von Baelz
Pour regrouper les différentes disciplines en un ensemble cohérent, des principes étaient partagées entre les différentes pratiques. En mettant en avant certains principes, certains choix stratégiques aussi, au détriment d’autres, l’art étudié était distinct de celui de l’école voisine (il y avait une multitude d’écoles classiques, bien que les armes soient assez semblables et que la plupart des écoles articule leur enseignement autour du sabre).
Notons enfin, que « sogo bujutsu » tout comme les termes japonnais budo, bujutsu, bugei, ou encore jujutsu et bien d’autres, ne désignent pas en soi des écoles mais sont simplement des noms communs (pas si communs pour le japonais moderne) pour caractériser un ensemble de pratiques.
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