Cette fois j’ai eu envie de partager avec vous un élément du battojutsu : le Chiburi, cette action précédant le noto. Le Chiburi est souvent associé au fait de se débarasser du sang sur la lame avant de rengainer dans la saya (lieu où un liquide visqueux viendrait à bloquer la lame dans le fourreau, tout au moins à gêner au dégainage et abimer la lame). Mais qu’en est-il vraiment ? Mythe ou réalité ?
Je vous propose donc un article du site kenshi247 pour traiter de ce sujet.
Le mythe du Chiburi ?
Par Richard Stonell, avec l’aimable autorisation de traduction pour ce site.
Article original: http://kenshi247.net/blog/2011/09/05/the-myth-of-chiburi/
Dans de nombreuses écoles d’iaido, le Chiburi est un élément fondamental du kata. Le Chiburi, généralement écrit 血 振 en japonais, signifie littéralement «se débarasser (secouer) du sang», et l’image présentée est celle de jeter le sang d’un ennemi vaincu de la lame avec un mouvement adroit avant de rengainer. Peut-être principalement en raison de la prévalence du Muso Shinden-ryu et du Muso-ryu Jikiden Eishin, certaines personnes croient que le Chiburi est un aspect universel du iai. Cependant, de nombreuses ryuha ne pratiquent pas le Chiburi, et il existe l’idée – qui est devenu plus répandue récemment, grâce au partage des connaissances par le biais d’internet – que se débarasser du sang de cette manière est en fait impossible. Si c’est le cas, alors à quoi sert le Chiburi ? Est-il inutile ? Pourquoi certaines ryuha le pratiquent-elles ? Et avait-il vraiment pour but d’enlever le sang de la lame?
Chiburi est une lecture moderne d’un mot qui apparaît dans le densho de Eishin-ryu soit comme 血 振 ou 血 震. La prononciation originale est plus précisement chiburui, qui est la lecture que vous trouverez si vous regardez le mot dans un dictionnaire japonais tel que le Kojien d’Iwanami Shoten. Dans son livre Koryu Iai no Hondo, Iwata Norikazu cite un autre enseignant d’Eishin-ryu, Morita Tadahiko, comme ayant raison d’affirmer que «chiburui» est le terme précis et que «Chiburi» est en fait une lecture erronée (le mot « Chiburi » qui apparaît dans le dictionnaire désigne en fait une méthode de préparation du poisson). Iwata sensei note également que Oe Masamichi et son propre maître, Mori Shigeki, se référaient au mouvement comme «chiburui». Toutefois, pour les fins du présent article, je vais utiliser le terme «Chiburi» car c’est ce avec quoi la plupart des gens sont familiers, et pour le meilleur ou pire, il est passé dans le langage courant de la plupart des cercles de iai.
La plupart des débutants apprenant le iaido apprendront que le mouvement de Chiburi vise à jeter le sang de la pointe de l’épée après la coupe. Dans la plupart des livres sur le iaido aussi, le Chiburi est décrit comme servant à cet effet. Le Muso-ryu Jikiden Eishin et le Muso Shinden-ryu contiennent également le chinugui (essuyer le sang de la lame avec un chiffon, un papier ou les doigts) dans un petit nombre de techniques dans le premier niveau d’enseignement de l’Omori-ryu (Shoden / Seiza pas bu ). En Muso-ryu Jikiden Eishin au moins, c’est techniquement effectué en mettant une main à l’intérieur de son hakama et en l’utilisant pour essuyer la lame. Dans la pratique cependant, la forme est réalisée, mais la lame n’est pas vraiment essuyée sur le hakama. Selon Mori Shigeki, c’est à cause de l’huile utilisée à l’époque d’Oe sensei sur les épées qui aurait souiller les vêtements.
Malgré que plus de gens en prennent conscience, l’idée que le Chiburi n’est pas vraiment une méthode pratique pour retirer le sang de la lame n’est pas récente – elle a été exprimée par les enseignants au Japon depuis longtemps. Kono Hyakuren, 20e soke de Muso-ryu Jikiden Eishin, écrit dans son livre Iaido Shintei:
« Chiburui: cela prend la forme de secouer le sang de votre épée et de le jeter sur le sol. Cependant, dans mon expérience, lors de la coupe avec une épée très peu de sang se colle à la lame. Néanmoins, mettre l’accent sur le zanshin et l’esprit grâce à la forme du chiburui en fait un outil utile pour le développement. »
Kono Sensei n’était pas seul dans sa compréhension du Chiburi principalement comme une méthode de développement du zanshin. Nakayama Hakudo a écrit:
« En Batto, le Chiburi est toujours effectué dans chaque kata avant de rengainer le sabre. Ce mouvement ne peut pas nettoyer le sang de la lame complètement, mais il devrait être considéré comme une action purifiante. La période entre le Chiburi et le noto est très importante en Battojutsu, car elle est une manifestation du zanshin dans le kata. Chaque école de iaido a une méthode pour l’exécution de cette action. Quelques méthodes particulières sont les suivantes:
« En Kanshin-ryu, un morceau de papier conservé à l’intérieur du kimono (kaishi, 懐 纸) est utilisé pour essuyer la lame.
«Dans la [Shindo] Munen-ryu, l’épée est dirigée vers le bas afin que le sang coule au bout de la pointe. L’épée est ensuite déplacée dans un arc autour de la partie gauche du corps, enlevant ainsi le sang sur la lame d’une chiquenade.
« En Hazama-ryu, l’épée est posé sur l’épaule gauche, et le sang essuyé sur l’épaule.
« En Fuchishin-ryu, l’épée est pincée entre le pouce et l’index, qui sont tirés de la base de la lame à la pointe pour essuyer le sang.
« En Hayashizaki Hon-ryu, l’épée est tenue dans la main droite et d’abord bougée dans un petit mouvement vers la gauche, puis d’un geste ample vers la droite avant de rengainer.
« D’autres écoles telles que l’Omori-ryu, la Kikusui-ryu, la Kaishi-ryu, la Tamiya-ryu, la Shingan-ryu, la Tetchu-ryu, la Hasegawa-ryu et ainsi de suite, effectuent aussi un Chiburi différemment. En outre, il y a des écoles qui ne font pas du tout de Chiburi. Certaines écoles vont rejeter le saya derrière eux après avoir tiré l’épée, montrant la détermination de l’épéiste comme s’il insufflait tout son être dans l’épée. Les rejets de saya expriment la préparation de l’épéiste à mourir au combat (sutemi, 舍身) – une fois l’épée tirée, elle ne sera pas retournée au fourreau. A Kyoto, j’ai vu un homme faire ce genre de Chiburi sous le titre de « Takayama-ryu ». Toutefois, je considère cela comme une exception à la règle générale. «

La Tatsumi ryu n’effectue pas de Chiburi, mais apporte l’épée au niveau chudan, exprimant le zanshin avant le noto.
Ainsi Nakayama sensei affirme que, même si toutes les écoles ne pratiquent pas ce que nous appelons aujourd’hui par le terme Chiburi, toutes semblent mettre l’accent sur le zanshin avant le rengainage, qui dans de nombreuses écoles se manifeste par le nettoyage simulé ou réel de la lame. Les écoles de iai qui effectuent le Chiburi semblent être en grande partie de la famille des Hayashizaki ryuha, tels que la Tamiya-ryu, la Mugai-ryu, la Suio-ryu et la Shinmuso Hayashizaki-ryu. Dans les écoles qui ne descendent pas de Hayashizaki on trouve souvent d’autres formes de nettoyage de la lame. Une forme qui ne semble pas apparaître dans les écoles dérivées de Hayashizaki est le kaiten Chiburi, où le sabre est pivoté dans la main et la tsuka frappée. Ceci peut être vu dans de vénérables ryuha telles que la Tenshin Shoden Katori Shinto-ryu, la Kashima Shinto-ryu et de quelques lignées de Takenouchi-Ryu. D’autres écoles non-Hayashizaki, comme la Seigo-ryu/Shinkage-ryu, la Hoki-ryu, la Sosuishi-ryu, la Tatsumi-ryu et ainsi de suite peuvent omettre complètement le Chiburi, optant plutôt pour un chinugui ou, pour un observateur extérieur comme moi, semble-t-il rien du tout. Bien sûr une observation par un tiers ne peut pas nous mener bien loin – par exemple, des discussions avec un pratiquant expérimenté de Hoki-ryu a révélé que, bien que l’école peut sembler ne pas avoir de parties de nettoyage de lame dans ses kata, les mouvements de chinugui sont effectivement cachés dans le noto lui-même. Malgré les nombreuses différences entre ryuha, cependant, je n’ai pas encore rencontré une école qui n’affiche pas clairement le zanshin – qu’il soit exprimé dans l’acte de nettoyer l’épée ou autre – avant rengainage de l’arme.
Il convient également de noter que, dans la citation ci-dessus, Nakayama Hakudo utilise le mot Chiburi pour désigner les méthodes de nettoyage qui relèvent techniquement du chinugui, et nomme même l’acte de jeter la saya de la Takayama-ryu comme une sorte de Chiburi (quoique rare et inhabituelle). Cela donne à penser que peut-être le Chiburi a été utilisé dans le passé comme un terme générique couvrant tous les types de nettoyage de l’épée, de purification rituelle ou d’autres actes exprimant le zanshin avant le rengainage. Si c’est le cas, cela peut avoir contribué au mythe de l’omniprésence du Chiburi.
Pour revenir aux ryuha avec lesquelles je suis un peu plus familier, je voudrais examiner le Chiburi dans la Muso-ryu Jikiden Eishin et la Muso Shinden-ryu. Dans ces écoles très étroitement liées, le Chiburi prend deux formes de base (avec quelques variantes). Le premier type que les élèves rencontreront est le chiburi-signature de l’Omori-ryu. Ceci est communément appelé o-Chiburi (大 血 振), qui signifie «grand Chiburi», et est réalisé en amenant la tsuka de l’épée à la tempe droite puis balançant la pointe en arc de cercle comme pour couper la ligne migi kesa. Selon le professeur, le chemin exact de la lame et le point où elle termine son oscillation varie, mais fondamentalement, le mouvement est le même. L’autre forme de Chiburi est communément appelée yoko-Chiburi (横 血 振) ou kochiburi (小 血 振), et se fait en déplaçant l’épée à sa droite avec la lame parallèle au sol, le bord vers la droite. Ce mouvement se fait généralement brusquement, mais là encore cela dépend de l’enseignant et de la lignée. En dépit d’une netteté de mouvements, il devrait être évident que le yoko-Chiburi n’est pas pratique pour enlever le sang. le O-Chiburi, selon les identications ci-dessus, est également inefficace, mais il est moins difficile d’imaginer qu’il fonctionne dans une certaine mesure. Le Yoko-Chiburi d’autre part ne va assez clairement jamais enlever le sang de la lame.
Alors, pourquoi ce mouvement est appelé Chiburi? La vérité est que le grand balancement fait en Omori-ryu a été appelé Chiburi depuis une durée de temps considérable. Consulter les sections d’Omori-ryu des densho de la période Edo à la fois Shimomura-ha et Tanimura-ha-ryu Eishin le prouve. Cependant, lorsque nous passons à la Hasegawa Eishin-ryu (Chuden et Okuiai), le mot disparaît soudainement du densho. Dans les descriptions à la fois de la Omori-ryu (où il apparaît deux fois) et la Hasegawa Eishin-ryu (où il apparaît dans tous les waza), ce qui est communément appelé aujourd’hui yoko-Chiburi est appelé «ouverture» (開き) ou « ouverture à droite » (右 に 開き). Ce n’est pas une seule fois appelé Chiburi. L’idée de ce mouvement comme « secouant le sang de la lame » peut trouver son origine plus tard, peut-être un amalgame des deux. Masaoka Katsutane, 18e génération de Muso-ryu Jikiden Eishin Kongen no Maki (Menkyo Kaiden), écrit à ce sujet dans son livre Muso Ryu Jikiden Eishin Iaiheiho Chi no Maki:
« En Omori-ryu, avant le noto le Chiburi est effectué sous la forme d’un balayage large de l’épée depuis le dessus la tête. En Eishin-ryu cependant, avant le noto vous « ouvrez vers la droite », comme dans le Yaegaki Omori-ryu waza.
« Cette « ouverture à droite » est aujourd’hui venue à être considérée comme un petit chiburi. Un jour, après la guerre, je donnais des cours de iai à des enfants à Kochi quand un enfant a demandé, avec la manière directe des enfants: « Sensei, est-ce que cela va vraiment retirer le sang sur la lame ? » J’y ai beaucoup pensé, et relu tous les densho que j’avais en ma possession, et ai constaté que nulle part dans aucun densho ce mouvement est appelé Chiburi. Au lieu de cela, il est appelé « l’ouverture à droite ». C’est pourquoi j’ai conclu que le Chiburi de l’Omori-ryu est une combinaison entre retirer le sang de la lame, exprimer le zanshin et préparer le noto, et pour l’Eishin-ryu le mouvement est pour le zanshin et la préparation du noto. »
Un examen plus approfondi des densho pré-modernes survivants de la Tosa Eishin ryu révèle que même si il y a un manque flagrant de références à Chiburi, il y a certaines parties de documents de haut niveau qui décrivent des méthodes spéciales pour le nettoyage rapide d’une épée quand on a besoin de la rengainer rapidement. De manière significative, ces méthodes sont des variantes de chinugui. Cela s’écarte en revanche de la forme prise lors du kata, où dans presque tous les cas, l’épée est immédiatement retournée dans la saya à la suite d’un Chiburi ou « ouverture à droite ». Le Chinugui, tel que mentionné ci-dessus, est considéré par beaucoup comme un moyen pratique de nettoyage de l’épée, et il semble que les pratiquants de Eishin-ryu à l’époque d’Edo ne se faisaient pas d’illusions. Il est tout à fait plausible que dans l’Eishin-ryu le chinugui a été préconisé pour le nettoyage de lame dans des situations réelles, mais il a été tout simplement omis de la plupart des katas. Le changement culturel majeur du port des épées dans la vie quotidienne, et le changement de structure moderne et d’approche pédagogique du Muso-ryu Jikiden Eishin et de la Muso Shinden-ryu pourraient facilement avoir conduit à la perte de cette connaissance par la plupart des pratiquants.
En regardant ces données, on peut conclure que ce que nous avons aujourd’hui nommé Chiburi n’a probablement pas été prévu à l’origine pour être une méthode de nettoyage pratique. Comme les sensei que j’ai cité au-dessus semblent être tous d’accord, il est beaucoup plus probable que la forme de Chiburi qui apparaît dans la plupart des waza de iai ai été développée dans le but de cultiver le zanshin. Ceci est également étayée par des preuves historiques disponibles. Dans certains cas, peut-être le Chiburi est aussi une sorte de purification cérémonielle, ou peut-être s’agit-il également d’un moment pour le chinugui dans le cadre formel du waza. Ce n’est bien sûr pas une conclusion surprenante – je suis sûr que la plupart des gens réalisait déjà celà. Mais j’espère que, en fournissant un contexte historique, nous pourrons nous approcher un peu plus près de la compréhesion du vrai but derrière ce que nous apprenons.
sources:
『古流居合の本道』 岩田憲一著 スキージャーナル株式会社発行 2002年
『居合道真諦』 河野百錬著 1962年
『中山博道剣道口述集』 中山博道著 堂本昭彦編 スキージャーナル株式会社発行 2007年
『無雙直傳英信流居合兵法地之巻』 政岡壹實著 無双直伝英信流居合兵法大江派湖刀会本部発行 1974年
Bonjour,
je n’ai pas encore lu l’article de fond en comble, mais pourquoi choisir le terme « chiburi » à la place de « chiburui » ? L’article mentionne pourtant qu’il s’agit de terme juste, non ?
Bonjour Florent,
Parce que c’est le terme employé par l’article original et que 99% des gens connaissent cette notion sous ce terme. Après pourquoi c’est passé dans le langage employé de l’un à l’autre… Aucune idée…
très bon article et partage.
merci.
sans oser le dire, j’ai souvent penser au coté purification de la lame en plus de la notion de base : secouer le sang.
le nettoyage ( la purification) des mains d’un masseur dans certaines ecoles se fait comme un chiburi du type seitei toho battodo
Merci, le mérite en revient à l’auteur.