C’est une question qui revient souvent concernant la pratique d’un art martial : quelles qualités sont nécessaires pour telle ou telle pratique ?
D’un point de vue historique, les koryu étaient des écoles pour les guerriers de l’époque féodale. Le samuraï n’était pas une qualité dépendant de son excellence au combat mais une classe sociale, un statut. Donc si on se souvient des noms de ceux qui ont créé des écoles ou réalisé des exploits, tous n’en avaient certainement pas la qualité. Par contre ce qu’avaient en commun les guerriers était… de s’entrainer. S’entrainer pour progresser physiquement et mentalement.
C’est cette même vision que j’ai lorsqu’il s’agit de pratiquer un art martial de nos jours. Nous venons tous avec un bagage physique et psychologique différent. Si certains auront plus de facilité à certain moment, cela pourra varier et n’est pas une condition à la progression. Pour progresser, quelque soit son niveau de départ, il faut avant tout s’entrainer. Une phrase attribuée à de nombreuses personnalités différentes dit en substance : « le génie c’est 1% d’inspiration et 99% de transpiration ».
A une époque plus récente que celles des samouraï, Namishiro sensei avait perdu un oeil, accident que nombre d’entre nous auraient considéré plus qu’handicapant. Il avait des licences en Takamura ha Shindo Yoshin ryu et d’autres arts, et ce fut lui qui finalisa la formation de Takamura sensei après la mort de son grand père. Takamura sensei s’en souvient en ces termes :
A son rétablissement, il était aussi bon que jamais. Nous avons souvent essayé de tirer profit de sa vision compromise, mais c’était comme s’il pouvait mieux voir sans son oeil.
Je ne peux m’empêcher de rapprocher cette histoire de l’idée que les samouraï blessés au combat ou à l’entrainement devaient aussi faire avec leurs limitations.
En sport de compétition, qui vise à la performance sur une série de gestes limités, des tests de sélection ou de détection des jeunes talents ont lieu tout le temps. On cherche alors celui qui est déjà amplement prédisposé à une activité, dans le but d’être performant rapidement et atteindre un sommet dans une spécialité donnée avant que l’âge ne fasse décliner les performances.
Le combat tel que l’envisage en général les koryu est un contexte chaotique où la performance spécialisée et formatée n’est pas forcément la panacée. C’est à mes yeux pourquoi les kata d’une école de jujutsu ou de kenjutsu n’enseignent pas une série d’action/ré-action conditionnées mais sont un moyen, un outil, pour faire sien des principes. Et de la capacité à exploiter spontanément et de manière adaptée ces principes dépendaient la survie des guerriers.
Mais ne nous écartons pas de la question initiale. Bien souvent cette question cache la peur de ne pas réussir dans une pratique, d’avoir plus de difficultés que les autres. Soyons honnêtes, c’est le lot de tous les débutants que de se sentir au moins physiquement comme un poisson hors de l’eau. C’est un processus normal d’apprentissage. Jeune, moins jeune, il n’y a pas de ligne d’arrivée à franchir dans un koryu; on peut commencer à 45 ans ou à 20 ans.
Ce qui devrait être important n’est pas si j’ai déjà des qualités qui m’aideront – le nouveau venu ayant souvent une idée très erronée d’où se situe la difficulté – mais est-ce que le cadre de pratique me permettra de progresser… Et y mettrais-je assez d’effort pour progresser, non pas dans l’instant, mais sur la durée.
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