A en croire la vitrine actuelle des arts martiaux, tout ou presque est « jujutsu ». Mais qu’y-a-t-il vraiment derrière ce terme ? Pour répondre à cette question je vous propose la traduction d’un article (avec son autorisation) de David Maynard : What is Jujutsu ?
Si vous avez été dans les arts martiaux japonais depuis très longtemps, vous avez probablement été bombardé par un ensemble confus de termes dont l’utilisation semble manquer de cohérence. Koryu jujutsu, Gendai jujutsu et goshin jujutsu en sont quelques-un. Dans cet essai, je vais essayer de clarifier l’utilisation de ces termes et donner au lecteur une perspective historique sur la façon dont ces termes se rapportent les uns aux autres.
Koryu est un terme qui génère de fréquentes controverses. Bien que différentes définitions abondent, la définition la plus communément acceptée de Koryu, ou « ancienne école » est associée à la fin de la classe des samouraïs au Japon. Cela équivaut approximativement à la date de 1868, date à laquelle le shogunat Tokugawa a complètement renoncé à sa puissance militaire et politique face au retour de la maison impériale japonaise et de l’empereur Meiji. Ce changement de politique, identifié comme la restauration de Meiji symbolise à peu près la fin de l’ère des koryu martiaux. La restauration Meiji, à l’origine soutenue par les plus puissants clans de samouraïs du Japon, les Choshu et les Satsuma, a vite adopté des politiques liées à la modernisation du Japon qui ont conduit à plusieurs courts et infructueux soulèvements sanglants qui mirent fin une fois pour toutes à l’ère des samouraïs.
Jujutsu est un mot plus difficile à définir puisqu’il est devenu ces derniers temps un terme non-spécifique librement associé à de la lutte non armée d’origine japonaise.
Les formes de combat originales qui sont les précurseurs du Koryu Jujutsu ont été l’apogée de nombreuses traditions différentes qui existaient à travers l’ancien Extrême-Orient. Certaines des premières références à des systèmes de combat japonais apparaissent dans le Nihon Shoki (Chroniques du Japon) et le Kojiki (anciennes annales). Ces annales comprennent des histoires fantaisistes qui traitent de la mythologie entourant la création divine de l’île du Japon et de l’établissement de la famille royale japonaise. D’autres sources encore plus anciennes font allusion à une source martiale de ce que nous appelons aujourd’hui le sumo moderne. Ces descriptions comprennent le sumai no sechie, un passe-temps de la cour de Kyoto réalisé pour apaiser les dieux et apporter la bonne fortune.
Les méthodes japonaises de combat ont d’abord été systématisées dans la période Heian (794-1185 environ). Beaucoup de traditions guerrières étaient ensuite organisées en ryu formel ou école pendant cette ère. Pratiquement toutes étaient des systèmes basés sur le champ de bataille, destinés à être pratiqués exclusivement par la classe des samouraïs. Ces arts de combat utilisaient en fait plusieurs noms différents. Hyoho, Heiho, Bujutsu, Bugei, Kumiuchi, Kogusoku, Koshi no Mawari, Yawara, Wajutsu et Hakuda ne sont que quelques exemples. Tous ces systèmes relèvent de la description générale des Sengoku bujutsu. La plupart de ces méthodes de champ de bataille étaient des systèmes de combat intégrés qui comprenaient également la tactique des troupes sur le champ de bataille, l’étude des fortifications, et l’espionnage. Certains de ces ryuha étaient toutefois moins complets, destinés à instruire des samouraïs de niveau inférieur sur le moyen par lequel un guerrier désarmé ou légèrement armé pourrait vaincre un ennemi lourdement armé et protégé. Ce sont ces systèmes qui au cours du début du milieu de la période Edo ont commencé à adopter l’utilisation du mot jujutsu. Les méthodes de jujutsu incluent fréquemment l’utilisation extensive de clefs articulaires, de projections, de torsions et d’étranglement destinés à être réalisés armé ou non. Les tactiques défensives incluent blocage, évasion, déséquilibre, harmonisationet des échappatoires. Les armes telles que le daito (épée longue), shoto (épée courte), le tanto (poignard), ryufundo kusari (chaîne lestée), Chigiriki (chaîne lestée et faux) étaient souvent incluses dans les cursus de Sengoku jujutsu.
Plus tard, de nombreuses écoles de koryu jujutsu ont évolué vers des systèmes plus familiers aux pratiquants de nihon jujutsu fréquemment observé aujourd’hui. Ils sont plus correctement classés comme Edo jujutsu, systèmes généralement destinées à faire face à des adversaires qui ne portent pas d’armure ou n’opérant pas dans un environnement de champs de bataille. Pour cette raison, la plupart des systèmes d’Edo jujutsu comprennent l’utilisation étendue des atemi-waza ou frappes vitales. Ces tactiques, de peu d’utilité contre un adversaire en armure sur un champ de bataille, seraient toutefois très utiles à quiconque affrontant un ennemi ou un adversaire dans un environnement civil. Fréquemment, des armes telles que le tanto (poignard), tessen (les éventails de fer), jutte et kakushi Buki (armes secrètes ou camouflées) ont été initialement incluses dans le programme d’Edo jujutsu. Aujourd’hui, seuls quelques-uns des systèmes de jujutsu de la période Edo comprennent encore un syllabus complet de bukiwaza (techniques d’armes). Fréquemment, cela est attribué à la popularité du judo moderne, dont l’intégration dans le système éducatif japonais a fortement influencé les écoles existantes de jujutsu dans le début du 20e siècle.
Beaucoup d’écoles légitimes de nihon jujutsu existent mais ne sont pas considérées comme koryu. Elles sont classées comme des écoles de Gendai Nihon Jujutsu. Ce sont des variantes modernes de Nihon koryu Jujutsu fondées après la fin du règne des Tokugawa (1603-1868). Beaucoup de respectables ryu traditionnels de Nihon Jujutsu sont considérés comme des traditions Gendai. Il s’agit notamment des écoles telles que le Daito ryu et le Hakko ryu. Bien que modernes dans la formation, les systèmes de gendai jujutsu ont des liens historiques directs avec les anciennes traditions et montrent souvent une structure organisationnelle et une méthode d’enseignement manifestement influencées par leurs prédécesseurs Koryu. Les cursus de Gendai jujutsu reflètent un biais évident vers des systèmes de Edo jujutsu, par opposition aux systèmes antérieurs de jujutsu de la période Sengoku. De nombreuses versions de Gendai jujutsu, ont au fil du temps été adoptées par les représentants de la loi dans le monde entier et continuent d’être le fondement de systèmes spécialisés utilisés par la police. Peut-être le plus célèbre de ces systèmes spécialisés pour la police est le système de Taiho jutsu formulé et employé par le département de police de Tokyo.
Si un système basé sur des arts japonais est formulé dans les temps modernes (post Tokugawa), mais n’est que partiellement influencé par le nihon jujutsu traditionnel, il serait plus correctement appelé gendai goshin jujutsu (self-défense moderne). Le gendai goshin jujutsu est généralement formulé en dehors du Japon et peut inclure des influences d’autres traditions martiales. Le populaire système de jujutsu brésilien/Gracie, influencé par le judo moderne, et le Danzan ryu, portant en plus des influences de traditions martiales indonésiennes et d’Okinawa sont des exemples populaires de Gendai goshin jujutsu.
Certains systèmes existant aujourd’hui ont adopté le nom de jujutsu, mais n’ont aucun lien historique avec le Japon. Que les fondateurs de ces systèmes soient malhonnêtes et tentent de légitimer l’existence de leur art en utilisant un nom traditionnel japonais ou qu’ils trouvent que le terme «jujutsu» décrit plus précisément le système qu’ils enseignent, est hors sujet. le koryu jujutsu se réfère à un art spécifique à l’origine historique spécifique. Le gendai jujutsu et le gendai goshin jujutsu bien que parfois très différents de leurs prédécesseurs sont encore liés au koryu Jujutsu par des lignées vérifiables. Les systèmes martiaux sans lien avec les écoles de jujutsu japonais peuvent enseigner des compétences similaires et peuvent être des formes d’étude excellentes à poursuivre, mais sans racines historiques dans d’authentiques nihon jujutsu ils doivent être appelés autrement, en abandonnant l’utilisation trompeuse de la terminologie japonaise.
Bonjour,
Merci pour votre article, je cherchais d’autres preuves historiques pour étoffer le miens et je les ai trouvé. Merci beaucoup.
Pourrais-je avoir votre expertise sur ce que j’ai écris et qui va un peu dans votre sens: http://www.shinryu.fr/2302-jujutsu-traditionnel.html ?
Merci d’avance
Amicalement
Jack
Bonjour Jack, je ne suis vraiment pas un expert, juste un simple pratiquant et présentement uniquement le traducteur de cet essai de David Maynard bien que j’en partage l’avis.
Permets-moi de te tutoyer et fais-en autant car malgré un nouveau printemps gagné je reste encore jeune ;-).
En ce qui concerne ton article, je l’avais déjà lu il y a longtemps et j’en partage le sens puisque « jujutsu » et « traditionnel » sont devenus des arguments de vente, du marketing pour des pratiques récentes. Je crois qu’il est bon de parler des anciennes pratiques et développer la connaissance qu’en a le grand public pour lui donner quelques repères. Cette appropriation frauduleuse de terme japonais est malheureusement des plus dangereuses quand cela permet à une autorité d’imposer un type de pratique…
Je patauheais dans la panade mais après avoir visité
votre site web, J’en sais +. merci
Merci pour votre lecture, il est parfois difficile de s’y retrouver…
[…] Qu’est-ce que le jujutsu ? […]