Pour ce long weekend, je vous propose un article sur l’introspection dans le dojo ou pourquoi un bon dojo ne devrait pas être un endroit confortable.
Un bon dojo n’est pas un endroit confortable
Par Peter Boylan. Avec sa permission exclusive pour la traduction. Article original : http://budobum.blogspot.jp/2015/04/a-good-dojo-isnt-comfortable-place.html.
La pratique de samedi fut très bonne, mais elle ne fut pas du tout ce que j’avais prévu. Nous avons commencé conformément au plan, travaillant les kihon de jodo. Cependant, à mi-chemin, nous avons viré vers un territoire dangereux. Nous avons commencé par explorer quelques principes de base. Un des nouveaux élèves du dojo a un background d’aïkido et de kenpo, et il a posé de bonnes questions à propos du ma’ai, de l’intention et de l’origine. Les réponses ne furent clairement pas du tout ce qu’il avait prévu, et nous pouvions presque voir de la vapeur sortant de ses oreilles alors qu’il travaillait à intégrer ces nouvelles idées. Il se retrouva à devoir réviser sa compréhension de choses qu’il pensait comprendre. Un bon dojo est un endroit dangereux pour les notions et idées préconçues et chèrement entretenues. Cela peut être carrément brutal envers les concepts et idées qui ne sont pas construits sur des fondations solides. Un bon dojo peut vous faire questionner qui et ce que vous êtes. Un bon dojo ne se contente pas d’enseigner des techniques de combats. Un bon dojo vous fera vous introspecter et vous aidera à vous dépouiller des auto-illusions et des compréhensions simplistes.
D’une façon très directe, mon élève découvre que ce qu’il pensait savoir sur la portée effective des armes et où il pourrait être en sécurité n’est pas très précis. La façon directe dont il le découvre fut d’être du mauvais côté d’un bout de bois lui piquant le bide ou s’arrêtant juste avant de lui cogner la tête.
Il y a beaucoup de façons dont le dojo devrait être inconfortable qui sont moins fortes physiquement qu’un bâton dans le bide, mais elles ne sont pas moins réelles. Nous avons tous des domaines où nous sommes loin d’être parfaits, et l’entrainement dans un bon dojo va les porter à notre attention. Le Budo est entièrement tourné vers la gestion des conflits. Ce que personne ne m’a dit quand j’ai commencé était que certains des conflits les plus difficiles seraient avec moi-même.
Tout le monde commence le budo avec une variété d’objectifs; apprendre à se battre, cesser d’être intimidé par les gens agressifs, en apprendre plus sur les samurai, acquérir un sentiment de pouvoir personnel, apprendre à se défendre physiquement. Ce sont quelques-unes des raisons que j’ai entendues de personnes commençant les arts martiaux. Ce sont toutes de bonnes motivations pour débuter le voyage. C’est juste que le voyage implique de gérer de nombreuses parties de nous-mêmes que nous n’avons jamais eu l’intention de traiter, et des lieux dans nos esprits, où nous ne pensions pas aller.
Beaucoup de gens qui commencent le budo, ne sont pas à l’aise avec le fait de frapper les autres ou de faire quoi que ce soit, qu’ils pensent, pourrait blesser quelqu’un ou pourrait être agressif. C’est un problème pour les gens qui veulent apprendre à se défendre. C’est un problème qui est habituellement apparent aux gens avant qu’ils ne franchissent la porte du dojo, c’est donc déjà un problème auquel ils sont prêts à se confronter. S’entrainer chaque jour les amène face-à-face avec cette question. Plus important encore, cela les met en contact avec un ancien ou un professeur qui leur dit « frappez-moi » ou « projetez-moi » ou une autre version de l’attaque, mais nous avons tous grandi en sachant que les gens sympas ne frappent pas les autres.
Quand un débutant dans le dojo dit: « Je ne veux pas vous blesser », il admet plusieurs choses. Premièrement, il pense qu’il peut blesser les gens. Deuxièmement, qu’il ne se fait pas confiance pour avoir suffisamment de contrôle pour ne pas blesser quelqu’un, et la troisième, qu’à un certain niveau, il ne croit pas que l’enseignant peut gérer ce qu’il fait. Ces trois aspects sont des choses qui rendent la plupart des gens mal à l’aise.
La société n’approuve pas de blesser des gens, et nous internalisons cela alors que nous grandissons. Entrer dans un dojo est inconfortable dès la première étape car l’étude de budo implique d’apprendre à blesser les gens, et tout dans notre éducation nous dit que c’est «mauvais». Donc la première gêne mentale que nous avons à dépasser est l’idée que savoir se battre n’est pas quelque chose que les «bonnes» personnes connaissent. Je me rends compte que je prêche des convertis ici, parce que je soupçonne que tout le monde me lisant s’entraîne déjà aux arts martiaux. Pensez-y bien, en dehors du dojo, les gens ont peur et sont intimidés par les compétences en combat, même si les gens au bureau ne vous voient jamais faire quelque chose de plus agressif que le déchiquetage d’anciens documents. Ceci est juste la première chose à laquelle les gens doivent s’habituer.
En judo et aïkido, la peur suivante que les gens ont à dépasser une fois la porte franchie est la peur de tomber. Nous passons la moitié de notre temps à pratiquer la technique sur nos partenaires, et l’autre moitié à subir la technique, ce qui implique de nombreuses chutes. Tomber est quelque chose que nous apprenons à éviter en tant qu’enfants, parce que cela fait mal et c’est embarrassant. Cela peut prendre un certain temps pour se familiariser avec la chute. Cela va à l’encontre de ce dont les gens sont habitués, mais j’aime prendre des chutes pour les autres. Vous pouvez sentir leur technique, comment ils se déplacent et mettent en place une projection, et comment ils prennent ou ne prennent pas soin de leur partenaire. Franchement, je pense aussi qu’il est vraiment cool que quelqu’un puisse me jeter au sol assez durement pour me casser les os, et que je puisse rebondir et dire: « Cela a été génial! Recommence! ». Une fois que vous dépassez votre peur de vous blesser, chuter est amusant.
Un plus grand inconfort pour beaucoup de gens est qu’ils ont peur de blesser quelqu’un d’autre. Ils ne se font pas confiance eux-mêmes pour ne pas blesser leur partenaire, et beaucoup de gens ne se sentent pas à l’aise d’avoir de la puissance physique. Nous ne pouvons laisser passer le fait que les vrais débutants dans le dojo ne possèdent pas beaucoup de compétences qui en feraient une menace pour les étudiants qui sont là depuis un moment. Les nouveaux étudiants ont à surmonter le sentiment que le simple fait d’avoir la connaissance sur la façon de blesser les gens (et d’être encore loin d’être doué à le faire) est quelque chose de mauvais.
Ajoutez à cela, la voix tatillonne dans la tête de beaucoup de gens qui leur dit qu’ils ne peuvent pas se fier à ces connaissances et compétences. « Que faire si je me fâche et que je fais quelque chose que je regrette? » « Que faire si je ne suis pas assez bon pour contrôler ma technique et que je blesse quelqu’un sans le vouloir? » « Et si jamais j’aimais vraiment être puissant et devenir un tyran? » Les gens ont toutes sortes de soucis, dont certains semblent assez ridicules. Jusqu’à ce que vous avez été au dojo assez longtemps pour voir quelques personnes tourner mal. Puis les peurs ne semblent pas tout à fait aussi ridicules.
Ne pas faire confiance à l’enseignant pour être capable de gérer ce que l’élève fait est un obstacle beaucoup plus facile à franchir que de ne pas se faire confiance. Après quelques répétitions avec l’enseignant disant « Frappe-moi » l’étudiant décide enfin que, bon, puisqu’il le veut vraiment, ce sera donc de sa faute s’il se blesse. L’élève tente de frapper l’enseignant et découvre que l’enseignant n’est pas là où la frappe est allée. Pire, ou mieux, l’enseignant a contre-attaqué de sorte que ce serait vraiment désagréable si l’enseignant n’avait pas un bon contrôle. Il n’y a pas besoin de beaucoup de répétitions de ce genre avant que l’élève commence à croire que l’enseignant peut faire ce qu’il dit et sera en sécurité.
Apprendre à vous faire confiance est beaucoup plus difficile. Nous n’avons pas beaucoup d’expérience avec les conflits et la violence physique dans les sociétés occidentales (le Japon est encore plus pacifique). La plupart des nouveaux étudiants n’ont probablement même pas été dans un concours de poussée depuis le lycée, encore moins un combat. Avant que les gens ne commencent l’entrainement, ils sont conscients qu’ils peuvent blesser les autres, mais ils ne disposent pas de technique, de sorte qu’ils ont peu d’idée de ce qui se passerait si ils faisaient quelque chose. Les débutants, très raisonnablement, ne se font pas confiance. Ils ne disposent pas de compétences techniques et ils n’ont pas beaucoup de contrôle de leur propre corps, aussi ne pas se faire confiance pour pouvoir attaquer quelqu’un, ou pour être en mesure d’appliquer une technique sans blesser leurs partenaires d’entrainement est probablement sage.
Il faut du temps pour apprendre à se faire confiance et à comprendre ce dont vous êtes vraiment capable. Le voyage pour vraiment se faire confiance est complexe. Les premiers pas sont simplement d’apprendre à faire confiance à votre technique de base, que vous pouvez prendre en toute sécurité une chute, ou projeter votre partenaire ou attaquer avec précision et contrôle. Une fois que les élèves commencent à avoir un degré de confiance dans leurs aptitudes physiques, ils rencontrent certaines des autres questions gênantes. Ai-je assez de self-contrôle pour cela ? Pourrais-je perdre mon sang-froid et blesser quelqu’un ? J’ai rarement rencontré des étudiants qui ont le self-contrôle et la discipline pour continuer à d’entrainer, mais ne disposaient pas du self-contrôle pour ne pas utiliser ce qu’ils apprennent sans bonne raison. Que les étudiants s’inquiètent de ce sujet est un bon signe pour moi, mais il exige le genre d’auto-réflexion et de considération qui n’est jamais facile et presque toujours inconfortable.
Il est difficile de considérer que nous pourrions ne pas être des êtres humains parfaitement merveilleux. Cela rend l’introspection l’une des choses les plus inconfortables dans l’entrainement. Alors qu’un élève acquiert des compétences, il n’est pas rare pour eux de se demander quel genre de personne sait ces choses. Je trouve cela particulièrement vrai pour les femmes. « Les bonnes filles ne se comportent pas comme ça. » « Les filles ne frappent pas les gens » « Les dames sont au-dessus de ce genre de chose. » Ajoutez à cela les stéréotypes sociaux que les filles ne peuvent pas combattre (Il frappe comme une fille), et les obstacles mentaux et émotionnels peuvent rapidement devenir importants. Je dois remercier Ronda Rousey pour démontrer au monde entier que, oui, les femmes peuvent combattre. Chaque femme qui vient au dojo doit néanmoins faire ce voyage mental elle-même.
Tout le monde doit décider quel genre de personne est celui qui sait se battre. Ceci n’est généralement pas un problème pour les hommes, mais beaucoup de ce qui est enseigné dans un dojo d’arts martiaux n’est pas le combat. Il est l’art prudent, presque scientifique de la façon de déconstruire une autre personne. Quel genre de personne sait ce genre de choses ? Un monstre ? Jusqu’à ce que les élèves deviennent à l’aise avec le fait de savoir disloquer les articulations et briser des membres, avec la façon de rendre quelqu’un inconscient ou de le projeter à travers la pièce si durement qu’il rebondisse, cela sera inconfortable.
Les élèves doivent regarder en eux-mêmes et comprendre qui ils sont, quel genre de personne ils sont et décider qu’il est ok pour eux de savoir comment faire ces choses violentes. Ils doivent décider que c’est ok pour eux d’avoir ce pouvoir. Il est facile de dire: « Ce n’est pas difficile » lorsque vous restez à l’extérieur. Nous avons tous des facettes de nous-mêmes que nous n’aimons pas particulièrement, des traits et caractéristiques personnelles dont nous ne sommes pas fiers, et peut-être même que nous sommes honteux. Ces parties de nous deviennent tout ce savoir et ce pouvoir aussi.
Ce sont simplement des problèmes que tout le monde a à surmonter dans les arts martiaux. Différents obstacles seront plus ou moins difficiles pour différentes personnes. Puis il y a les problèmes particuliers que les gens peuvent apporter avec eux. Si quelqu’un a subi de mauvais traitements ou un traumatisme, juste saisir la main d’un partenaire pour pratiquer une clef peut être difficile. Permettre à un partenaire de les projeter pourrait exiger un acte de confiance, de foi et de courage plus grand que je n’ai jamais eu à prendre.
Être dans le dojo est inconfortable, mais c’est bien. Un bon dojo donne aux étudiants un lieu pour travailler sur toutes ces questions. Les bons enseignants donnent aux élèves un soutien pour les travailler. J’ai connu des gens qui pensaient qu’ils devaient « appuyer là où ça fait mal » pour les aider à grandir. Je trouve qu’être au dojo et s’entrainer activement est généralement plus que suffisant. Ce que nous faisons dans le dojo est de jouer avec la violence, l’agression et la force. Des choses qui sont interdites en bonne société. Juste travailler avec ces choses, apprendre à contrôler et comment les appliquer va obliger les gens à faire face à des parties d’eux-mêmes qu’ils peuvent éviter d’affronter au jour le jour.
Parfois, le stress de l’entraînement expose des pans de nous-mêmes que nous préférons ne pas affronter. Peut-être que nous sommes trop prêts à être en colère envers d’autres personnes lorsque nous sommes involontairement meurtris ou blessés lors de la pratique. Peut-être que nous découvrons que nous ne sommes pas aussi bons sous la pression d’une attaque constante et continue et que nous commençons à paniquer. Cela pourrait être la découverte que nous ne pouvons pas supporter de perdre, même si perdre en randori n’est pas vraiment perdre. Ce sont quelques-unes des questions qui peuvent surgir dans le dojo.
Travailler avec ces choses peut rendre le dojo inconfortable, mais ce sera un bon dojo pour apprendre non seulement comment se battre et infliger des dommages, mais aussi apprendre le genre de personne que vous êtes. S’introspecter clairement est rarement agréable, mais être dans le dojo exige que nous le fassions encore et encore alors que nous progressons. C’est peut-être tout simplement découvrir que nous ne savons pas ce que nous pensons comprendre. Tout cela implique de découvrir que nous ne sommes pas tout à fait aussi bon que nous pensions être.
Dans le dojo néanmoins c’est bien. C’est pour cela que le dojo est fait. Vous ne pouvez pas être un bon combattant si vous ne connaissez pas vos propres faiblesses, donc un bon dojo vous aide à composer avec les problèmes et les faiblesses que vous trouverez en vous-même. Un bon dojo est un peu inconfortable car il fournit un miroir dans lequel regarder. Un bon dojo est aussi merveilleux car il vous donne le soutien et la structure pour faire face à ce que vous voyez dans ce miroir.
A reblogué ceci sur Aïkido Colmar chez les Diables Rougeset a ajouté:
Bonjour
Dernièrement je fais référence à la zone de confort, là dans cet article c’est carrément l’idée que le dojo ne devrait pas être un endroit confortable !
Lisez l’article ça replace les idées sur le principe du DOJO
Bien à vous
N’oubliez pas dans 2 mois c’est la rentrée et vous avez autant de temps à vous décider de (re)venir afin de pratiquer avec nous
Nota : Merci d’avance de partager l’adresse du web et physique du DOJO