L’aikido – comme tous les budo – a souffert de la crise sanitaire mais parait décliner en nombre de pratiquants depuis bien plus longtemps. Luttant face aux pratiques dites efficaces, un certain nombre de ses pratiquants cherchent comment le faire évoluer; mais les directions choisies n’annoncent-elles pas sa disparition comme discipline bien identifiable ?
Le problème n’est pas nouveau : le nombre de pratiquants diminue et l’Aikido attire moins les jeunes que d’autres pratiques. 2022, une crise sanitaire mondiale, et j’entends toujours les mêmes solutions que dans les années 2000 voire avant; c’est dire comme ce sujet est une marotte bien installée dans nos écoles (et peut-être surtout, internet).
Les solutions préconisées sont en général : compléter avec du pieds/poings (car l’ « Aikidoka ne sait pas frapper ». Phrase qui sera bientôt plus connue que « l’aikido c’est Irimi-Atemi »), faire du sol (merci les années 90 avec l’UFC et l’éclosion du bjj), ajouter du sparring voire de la compétition, l’adapter à la rue (pour les anti-compet). Comme un sentiment de déjà-vu ?
Pour se moderniser, l’Aikido se voit enfermer dans deux courants : l’efficacité associée aux sports de combats (mma, muay thai, boxe…) ou le cadre de la self-defense moderne (où certains espèrent appliquer des clés et saisies sur attaque au couteau…). Inconsciemment, les deux alternatives ne sont que l’expression de ce qu’on appelait « l’efficacité dans la rue » (un thème obnubilant les forums des années 2000). En découle que l’aikido vu par ce prisme : ne met pas l’accent sur le pied/poing, ne sait pas gérer le sol, etc, etc…
La faute à un aikido qui ne se serait pas adapté au monde moderne avec des attaques (menuchi, shomen, yokomen, grande présence des saisies) et des réponses pas adaptées (clefs sur articulations fines, projections…). Sans chercher de réponse à ce besoin d’efficacité « moderne » (n’étant pas certain de partager le constat initial), j’ai l’impression que nombre d’aikidoka pensent que le fondateur de l’Aikido a formulé son art à l’époque des samouraïs. Que finalement les kote-gaeshi et autres joyeusetés, ça marchait du vivant du fondateur mais plus maintenant.
Alors pour rappel, Morihei Ueshiba a vécu de 1883 à 1969. S’il apprend le daito-ryu (source principale de l’Aikido), à partir de 1915, il formulera son aikido en 1942 (mais propose déjà sa propre vision du budo sous diverses appellations depuis une dizaine d’années). Les samouraïs de leur côté disparaissent du pouvoir en 1868, 15 ans avant la naissance d’Ueshiba, et comme classe sociale une dizaine d’années après la restauration Meiji. L’art martial d’Ueshiba est totalement inclus dans la période moderne, il est même tardif dans son apparition officielle (le judo date de 1882). Ce petit rappel historique est juste là pour indiquer qu’on ne se battait déjà plus avec un sabre dans la rue du temps du fondateur de l’Aikido. L’aikido était-il donc déjà anachronique à sa naissance par rapport aux « besoins de la rue » ?
Cela n’a pas empêché son fondateur de donner des cours à des policiers (voir vidéo) ou d’autres groupes. Des gens, qui en 1958, étaient ancrés dans la réalité du monde moderne.
Mais pour autant Ueshiba ne semble pas changer l’art qu’il enseignait, pratiquait et recherchait au quotidien. Peut-être que l’objet de l’Aikido était autre à ces yeux. C’est un art peut-être difficile à cerner car profondément façonné autour de la recherche de son fondateur. Le risque de le faire évoluer selon les deux alternatives évoquées, c’est finalement de créer une énième synthèse et de le voir se diluer (certains grands maîtres d’Aikido ont déjà fait leur propre synthèse voire style, il y a plus de 50 ans.)
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