L’Histoire, si elle ne change pas la façon de pratiquer de celui qui la connait, aide néanmoins à contextualiser une époque et une pratique. Le Shindo Yoshin ryu a été formalisé à la fin de l’époque Edo, plus précisément pendant le bakumatsu. Ce texte brossera rapidement les événements de cette période qui conduirent à la chute du Shogunat.
Le bakumatsu est cette époque allant de 1853 à 1867 où cesse la politique isolationniste du Shogunat (le Japon est fermé aux étrangers depuis 1641 jusqu’à 1853 – une période appelée sakoku) et conclue par la fin du système féodal du Shogunat.
Le commodore Perry
L’étincelle déclenchant les événements de cette période est l’arrivée du commodore Perry à la tête d’une flotte de 4 vaisseaux dans la baie d’Edo en juillet 1853. Edo est alors la capitale du Shogunat, lieu de pouvoir, alors que Kyoto est la demeure de l’empereur Kōmei. Les navires entrent dans la baie sans que la marine japonaise, dépassée technologiquement, puissent les en empêcher. C’est la première fois que des étrangers sont en mesure d’atteindre le Shogun. Les Etats-Unis veulent signer un traité de commerce avec le Japon et que ce dernier ouvre ses ports. Pour convaincre les japonais de sa puissance de feu, Perry fait détruire plusieurs bâtiments du port et promet de revenir un an plus tard pour signer le traité.
Les réactions des dirigeants japonais sont hétérogènes : l’empereur fortement xénophobe et vivant dans un contexte figé souhaite le status-quo – c’est-à-dire le refus de tout contact avec les étrangers; les conseillers du shogunat cherchent un compromis avec les occidentaux; et une partie des daymos veulent la guerre contre les forces étrangères en s’illusionnant sur le rapport de force et technologique.
Finalement, un an plus tard, Abe Masahiro est en charge des négociations. Il accepte les conditions de Perry pour l’accès des navires américains à du ravitaillement et le Japon ouvre les ports de Shimoda et Hakodate. Le commerce est toujours banni par ce traité « de paix et d’amitié ».
En 1958, le traité « d’amitié et de commerce » est signé par les américains, les japonnais étant sous pression de ne pas subir le même sort que la Chine en pleine seconde guerre de l’Opium avec les Français et les Britanniques. Les ports d’Edo, Kobe, Nagazaki, Niigata et Yokohama sont ouverts. Le traité sera suivi d’accord similaires pour les Hollandais, les Russes, les Britanniques et les Français. Ces traités sont très asymétriques puisque le droit national étranger s’applique pour les ressortissants étrangers (clause d’extraterritorialité) et que le Japon n’a pas le contrôle de ses droits de douanes.
Cette ouverture forcée attise les conflits. Ce traité n’est pas du goût de tous les daymos et le Shogunat affaibli cherche alors l’appui de l’empereur (même si ce dernier a un rôle symbolique, il est toujours supposé que les décisions du Shogunat sont en accord avec les souhaits de l’empereur). La cour et le clan anti-étranger profitent de cette faiblesse pour faire accuser le Shogunat d’avoir pris une décision à l’encontre de l’empereur. Globalement deux clans vont se dessiner, ceux pour le compromis avec les étrangers et du côté du Shogun, ceux qui s’opposent au Shogun et lui préfère l’empereur sous divers slogan dont « Sono joi » : Vénérons l’empereur et expulsons les barbares.
La purge d’Ansei
Le conflit politiques s’enveniment entre factions japonaises lorsque Ii Naosuke, puissant conseiller du shogun (et signataire du traité avec les américains) organise la purge d’Ansei qui vise à éliminer les opposants à l’occidentalisation du Japon et à l’application des nouveaux traités. Débutée en 1858, la purge représente la mise à l’écart de plus de 100 personnes : daymos et aristocrates à la cour de Kyoto. Il s’agit pour Ii de renforcer le pouvoir du Shogunat face à ses adversaires qui en prévoit la fin.
Durant les années suivent, des assassinats sont perpétrés sur les étrangers ou leurs supporters :
- en août 1859, un marin russe est coupé en morceaux à Yokohama
- en début d’année 1860, deux capitaines hollandais y sont tués, puis des chinois et leur aides japonais.
En mars 1860 intervient l’incident de Sakuradamon. Des samourais et ronin du clan Mito, dont est originaire le Sonno joi et dont le daymo a subi la purge d’Ansei, assassinent Ii Naosuke. 17 jeunes samouraïs tuèrent le régent juste devant l’une des portes du château du Shogun à Edo. Le Shogunat fut totalement pris au dépourvu par ce meurtre et n’annonça la mort de Ii Naosuke que plusieurs mois après.
Ce succès du clan anti-étranger lance une vague de terrorisme loyaliste à travers le Japon :
- à la fin de 1860 un serviteur du ministre français est tué
- en janvier 1861, Henry Heusken, secrétaire de la mission américaine est tué.
- en juillet 1861, le légation britannique est attaquée et compte deux morts.
- septembre 1862, l' »affaire Richardson » ou « incident namamugi » arrive poussant les occidentaux à réagir.
- en mai 1863 l’ambassade américaine à Edo est incendiée
En mars 1863, l’empereur Komei émet un édit contre les occidentaux : le jōi chokumei ou « Ordre d’expulser les barbares » (avec un ultimatum fixé au 11 mai).
L’affaire Richardson
En septembre 1862, quatre ressortissants britanniques (3 hommes et une femme dont un marchand de Shanghai nommé Charles Lenox Richardson) voyagent à cheval sur la route de Tokaido depuis Yokohama pour rejoindre Kawasaki. Près du village de Namamugi ils croisent le cortège de Shimazu Hisamitsu, régent et père du daymo de Satsuma.
Au plus gros de la procession qui occupe toute la largeur de route, Richardson ne descend pas de cheval comme il lui est intimé (et comme l’auraient fait tous les japonais, – en effet, ces étrangers ne sont pas soumis aux règles des nationaux en raison de la clause d’extraterritorialité du traité anglo-japonais) et il passe près de la procession. Un des gardes du corps lui assène un coup de sabre (les 2 autres hommes sont aussi blessés), mortellement blessé, il sera achevé un peu plus loin dans sa fuite (pour plus de détails, lire : https://fr.wikipedia.org/wiki/Incident_de_Namamugi).
En retour, la Grande Bretagne réclame des réparations au gouvernement japonais et l’exécution des auteurs. Le clan Satsuma refuse et en août 1863 un escadron britannique va alors à Kagoshima demander la réparation. Ils confisquent des navires japonais contre rançon et se font tirer dessus par surprise depuis les forts de Satsuma. L’escadron britannique bombarde alors Satsuma : 500 maisons sont brûlées et trois bateaux à vapeur coulés.
Des réparations seront payées au britanniques par les Japonais, mais l’incident marque étonnamment un tournant dans la politique de Satsuma : constatant la supériorité technologique de la Royal Navy, ils chercheront dorénavant à acquérir ces connaissances et ce matériel dans le but plus lointain de chasser les occidentaux.
L’incident de Shimonoseki
D’autres interventions occidentales entre 1863 et 1865 visent à affaiblir l’opposition ou répondre notamment à l’attaque du clan Mori de Choshu sur tous les bateaux étrangers traversant la passe de Shimonoseki (en application de l’ordre d’expulsion des barbares). Plusieurs bombardements occidentaux auront lieu en représailles (de la part des anglais, français et américains). Et une somme de 3.000.000 dollars est réclamée par les puissances occidentales en guise de réparation.
La chute du bakufu
Le bakkufu, allié des occidentaux, est tiraillé entre l’opposition et les conflits internes (principalement des provinces Satsuma et Choshu) et les exigences des forces occidentales dont notamment les 3 millions de dédommagement (à cause du clan Choshu).
Le bakufu réprime une rébellion dans le domaine de Mito (1864-1865), et envoie une expédition punitive à Choshu suite à une tentative de prise de Kyoto et du palace impérial en août 1864.
En juin 1866, une deuxième expédition punitive part pour Choshu, mais les forces shogunale sont défaites par une armée plus moderne et mieux organisée.
En 1867, l’empereur Komei meurt et son second fils Mutsuhito (empereur Meiji) lui succède. Tokugawa Yoshinobu essaie alors de réorganiser le gouvernement sous la tutelle de l’empereur tout en conservant le pouvoir. Mais les clans Satsuma et Choshu poussent pour rendre le pouvoir à l’empereur. Pour éviter un nouveau conflit armé, Tokugawa rend une partie de son autorité. Mais le geste du shogun ne suffit pas à calmer les clans anti-bakufu : ils créent des conflits dans Edo grâce à des groupes ronins puis ils envoient leurs troupes en force en direction de Kyoto pour pousser la cour à publier un edit destituant le shogun. Ils obtiendront l’edit dans les derniers jours de 1867.
Tokugawa Yoshinobu accepte cette décision et décide de se retirer à Osaka avec sa cour et rend le titre de Shogun.
La guerre du Boshin
Mais les troupes anti-bakufu, craignant un mouvement stratégique visant à reconsolider le pouvoir du Shogun par une fausse retraite, poursuivent leur action.
Le 27 janvier 1868, les forces shogunales se confrontent à celles de Choshu et Satsuma près de Toba et Fushimi au sud de Kyoto. Parmi les 15000 hommes du Shogun, une partie fut entraînée par les conseillers militaires français mais une grande partie reste composée de samuraï et notamment des Shinsengumi. Les défenseurs se battent à 1 contre 3 mais sont complètement modernisés, avec des fusils Minié, des gatling et autres canons. Au deuxième jour une bannière impériale est remise aux défenseurs et ils deviennent l’armée impériale. Plusieurs daymo changent de camp au fil des jours et renversent l’équilibre des forces.
Yoshinobu Tokugawa, dernier shogun
Le 7 février, Tokugawa Yoshinobu se replie par bateau à Edo. Démoralisées les forces shogunales battent en retraite et font de la rencontre à Toba-Fushimi une victoire des forces impériales. Le chateau d’Osaka est pris le 8 février.
Fin mars 1868, les deux forces se rencontrent à Katsunuma. Le rapport de force est de 3000 contre 300 en faveur des forces impériales qui gagnent et forcent les survivants à rejoindre le clan Aizu toujours contrôlé par des loyalistes aux Tokugawa.
Saigo Takamori, leader des forces impériales, négocient avec Katsu Kaishu, le ministre des armées du Shogun une reddition sans condition en mai 1868. Tokugawa Yoshinobu est arrêté et destitué de tous ses titres, pouvoirs et terres.
Mais certains groupes résistent, ainsi le 4 juillet, une autre bataille a lieu à Ueno. Les troupes du Bakufu sont plus nombreuses mais les troupes impériales (toujours conduites par Saigo Takamori) remportent une victoire décisive.
Une coalition du nord, principalement autour du clan Aizu, continue la résistance (représentant près de 50000 hommes). Malgré une victoire en mai, les forces impériales progressent, battent les shisengumi à la bataille de la passe de Bonari, et prennent Aizu à l’automne 1868 (15000 combattants impériaux contre 5000 pour les loyaux au Shogunat). Les saumurais d’Aizu survivants seront envoyés en camp de prisonniers de guerre et le domaine d’Aizu, existant depuis la moitié du 17e siècle, disparaît.
Le 3 septembre 1868, Edo est renommé Tokyo, la « capitale de l’Est » et l’empereur Meiji prend résidence dans le château Edo (le palais impérial actuel).
Un contexte moins linéaire
La succession de dates poussent à penser ce changement d’époque comme quelque chose de linéaire où toute cause a sa conséquence directe. Cette période est bien plus complexe qu’il n’y parait et cet article ne vise qu’à donner une idée assez grossière des événements. Les slogans du clan anti-Etranger ont évolué au cours du temps, passant d’un refus de tout ce qui est occidental à une appropriation à une vitesse fulgurante de la technologie, des langues, des structures politiques occidentales, dans le but de repousser les barbares (et plus tard devenir l’une de ces grandes puissances). Ce changement n’est uniquement lié à l’arrivée des navires américains, le carcan social imposé par les Tokugawa arrivait à bout de souffle. Les tensions sociales (comme le montre les révolutions paysannes – Ikky) et le besoin de changement expliquent certainement pourquoi la restauration Meiji, acte final de la période Edo, est l’oeuvre de jeunes samouraïs de rang peu élevé dont certains gravèrent leur nom dans l’Histoire tel Sakamoto Ryōma.
Sakamoto Ryōma
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