Voilà bien longtemps que je n’avais pas écrit sur ce blog. Alors pour commencer en 2019 me voilà reparti pour parler des kata. Des kata qui sentent souvent la poussière, parfois dénigrés par les plus sportifs, parfois juste un élément de passage de grade dans les budo modernes.
Pour être sûr que nous parlons bien de la même chose, redéfinissons ce qu’est le kata. Le kata est une forme pré-arrangée pour transmettre des principes par l’interaction de deux opposants. Dans ce travail, un des participants est l’apprenant, l’autre est celui qui fournit le contexte et aide l’apprenant dans sa tache d’apprentissage (par le dosage de la résistance, de la vitesse et de la puissance…)
Traditionnellement dans un contexte japonais, le kata est employé conjointement à la méthode shu-ha-ri, qui décrit les trois étapes de son apprentissage : adopter le kata, s’écarter du kata, ne plus avoir besoin du kata.
- Adopter le kata, c’est l’apprendre, répéter la forme et être capable de le reproduire.
- S’écarter du kata, c’est tester et explorer les limites du kata pour mieux comprendre ses principes.
- Ne plus avoir besoin du kata, c’est avoir intégré les principes du kata et ne plus avoir besoin de ce véhicule pour exprimer librement les principes sous jacents.
Les écoles reposant sur le kata sont souvent critiquées par les sportifs pour leur pratique robotique et sans mise à l’épreuve du feu, sorte de musée technique se transformant en gym plus ou moins douce. A ces accusations, les non sportifs opposent une impossibilité de tester des techniques dangereuses dans un cadre compétitif. OK…
Pourquoi je parle (à nouveau) du kata ? Parce que, justement, les anti-kata ont trop souvent raison sur le constat. Même si leurs arguments mériteraient d’être observés de plus près (plein de monde l’a déjà fait, moi compris), force est de constater que nombre d’écoles ne sont que des musées poussiéreux remplis de kata. Malheureusement beaucoup de pratiquants quel que soit leur discipline martiale restent à la première étape du kata. Ils apprennent chaque pas, chaque mouvement, mais vous pouvez revenir dix ans après rien n’aura changé. Certes ils ne feront plus d’erreur, ils seront moins hésitants, mais globalement vous aurez sous les yeux quelque chose de sclérosé.
Le kata n’est pas en cause : il est ce que l’on en fait. Shu n’est pas une finalité en soi. Un peu comme les passages de ceinture dans le budo où trop de pratiquants s’arrêtent à la fameuse « ceinture noire ».
Il est nécessaire d’explorer le kata, de le tester en augmentant l’intensité et les possibilités. Ce nouvel espace d’exploration amène à comprendre les conditions d’application d’un principe et met aussi en exergue notre capacité à l’exprimer en situation. Exemple pris au hasard : le travail du kuzushi (la mise en déséquilibre, qu’elle passe par un déséquilibre total ou une déstabilisation de la structure corporelle). Ce travail, très intéressant, est particulièrement travaillé aux vitesses lentes. Il est ainsi plus facile à ressentir et à identifier. En dehors d’une étude biomécanique d’une relation à deux corps, il ne devient martialement intéressant que lorsqu’on est capable de l’appliquer instantanément, au toucher : ce petit laps de temps où uchitachi emploie plus de muscles pour maintenir ses appuis… Ce petit laps de temps où la lame ou l’atemi est déjà sur lui.
Cela est très différent d’une pratique où le déséquilibre s’éternise artificiellement sur une longue séquence. Le kuzushi devrait être applicable (et il l’est) juste au contact de deux avant-bras lors d’un échange de coups, ou simplement au contact éphémère de deux sabres.
Alors certains se diront finalement que les débutants ont raison : autant essayer faire le kata à pleine vitesse… Et sortir du kata dès que la possibilité se présente (« et si là je fais ça ? »). Non. On ne ne parvient aux étape Ha et Ri en sautant l’étape Shu. Il est primordial d’acquérir les différentes étapes du kata et de le répéter autant que nécessaire jusqu’à ce que le doute ne soit plus permis. Peut-être qu’il vous parait irréaliste, trop loin de la réalité du combat ou trop intriqué pour être réalisable. Il faut faire confiance à votre sensei et au kata (sinon, changez d’école).
Cela peut prendre des années, être laborieux, et puis finalement viendra un temps où les hésitations auront disparu. Le kata sera réalisé de manière correcte de A à Z.
Ne vous arrêtez pas là ! Maintenant il est temps d’augmenter la vitesse, et de garder la même précision, la même qualité de toucher avec des mouvements secs et soudains. Faites vivre le kata.
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