Un article revient année après année dans le top des statistiques de mon blog. Son sujet n’est pas sur l’école, ni les cours. Adieu aussi le marronnier de l’efficacité dans la rue. Non ce qui intéresse le pratiquant lambda est la solution d’une équation simple : combien de temps faut-il pour apprendre un art martial ? Le registre est celui de l’efficacité temporelle dans l’apprentissage.
J’avais à l’époque (4 ans déjà !) traduit un article sur les arts martiaux chinois qui, sans en partager tous les aspects, me semblait offrir quelques pistes de réflexions. Je ne reparlerais pas de l’article, vous pouvez le consulter. Depuis cet article 4 ans ont passé. 7 ans se sont même écoulés depuis que j’ai rencontré sensei Threadgill du Takamura ha Shindo Yoshin ryu. L’article indiquait qu’une période de 5 ans environ devait être nécessaire pour apprendre complètement une école. Franchement je n’ai pas en moyenne le temps de pratique supposé par l’article (4h/sem avec son prof + 3h perso/jour pendant au moins 5 ans).
Alors qu’en est-il aujourd’hui ? J’enseigne le premier niveau de l’école et j’apprends le second (sur trois niveaux en tout). Alors que j’explore les techniques du niveau Chuden, la manière de se déplacer, les principes sous-jacents et leurs interactions me semblent plus naturels. Tout s’emboîte assez naturellement.
Ce soir, les vacances scolaires et les obligations de chacun ont eu raison des pratiquants. Le dojo ne résonna que de mes pas, ce qui me permit de me concentrer sur mon propre entraînement; une aubaine. Je répétais les mouvements cherchant à gagner en vitesse et fluidité. Précis c’est bien, précis et rapide c’est mieux – peut-être la différence entre mort et vivant à une autre époque. Je répétais donc ces gestes, les nouveaux kata comme les anciens. Ce n’est qu’après coup que j’ai pu constaté que j’arrivais à réaliser des enchaînements qui me posaient problème un an auparavant (et pour ceux que l’état de mes chevilles inquiéterait : il reste bien d’autres défauts à régler).
Ces mouvements, j’en connaissais la théorie – je pouvais les expliquer, les démontrer ou les reproduire. Mais pas avec la même fluidité et aisance. Et c’est là où la course à l’efficacité temporelle de certains de mes lecteurs risque de les dégoûter des arts martiaux. Oui, on doit pouvoir intégrer un système complet en moins d’une vie; mais il va falloir y consacrer beaucoup beaucoup de temps et d’effort. Surtout au départ.
La première partie de l’apprentissage, que l’on pourrait considérer comme le temps pour atteindre la ceinture noire dans les budo, n’est que l’acquisition des bases d’une école. Comment se déplacer, retenir des séquences pour modifier notre façon d’utiliser notre corps, intégrer corporellement des principes. Tout cela nécessite du temps, de la répétition et un entrainement « conscient ». Parce qu’au final, on comprend très vite intellectuellement, mais avant qu’un principe puisse s’exprimer correctement il va falloir que le corps participe dans son ensemble à sa réalisation. Trop souvent – et je suis bien placé pour le savoir – on se dit : « ok là je créé le déséquilibre comme ça, je tire avec le pied… », on s’exécute et puis mentalement on constate : « merde, j’ai fait les différentes étapes et ça marche pas ».
Oui… Et pourtant non, tout n’y était pas. Les étapes pouvaient être respectées mais le corps marchait « mal », comme désarticulé. Ce qu’une partie du corps faisait… Etait perdu ou contrarié par une autre partie. Simplement parce que l’ensemble du corps ne bouge pas comme souhaité. Il faut alors encore du temps pour affiner l’ensemble de notre manière d’utiliser notre corps, en passant par divers exercices et kata qui se complètent mutuellement.
Le process est plus ou moins long selon les personnes. Oubliez l’égalité, nous sommes extrêmement inégaux sur l’apprentissage corporel. Il faudra de la sueur, des déclics mentaux mais aussi laisser le temps au corps d’agencer chaque partie. Bien sûr cela prendra plus longtemps avec une heure par semaine.
Ce n’est que le début. Une fois une première étape franchie, on se déplace selon les critères de l’école. Les nouveaux kata s’intègrent naturellement, et on va plus loin : recherchant vitesse et efficacité. Malheureusement trop de pratiquants s’arrêtent juste avant (souvent à la ceinture noire), ils atteignent finalement une base de travail… Mais stoppent sans percevoir tout le champ exploratoire qui se présente à eux. A mes yeux, on entre plus dans la partie martiale. La répétition ne suffit plus, peut-être qu’il est temps d’approcher les autres étapes du shu-ha-ri.
Je ne pratique pas un art martial comme un art. Malgré l’étymologie de ce duplet, il est bien mal à propos. Passé l’étape de l’enfant qui arrive enfin à mettre un pied devant l’autre, c’est la précision, la vitesse et ma capacité à réagir que je travaille. La perfection du geste dans le kata, oui, mais si je suis vivant. J’ai l’avantage à mon époque de ne pas reposer sur mon entrainement pour survivre, mais je dois garder la finalité à l’esprit. L’artistique n’en est qu’une appréciation, et l’excellence de l’art qu’un épiphénomène de cette recherche.
Pour une fois je vais faire un parallèle avec le sport. J’ai toujours admiré les basketteurs (vu ma génération, nous avons vécu la glorieuse Dream Team US de Barcelone), il y a chez les plus grands ce sublime toucher lors d’un jump shoot, cette suspension millimétrée, ce ballon qui décrit un arc parfait jusqu’au cercle, alors que le buzzer signale la fin du match (Tony Parker ne fut pas en reste). C’est beau, tout est fluide, tout le corps en action dans un même but… Une esthétique en mouvement bien vendue par les ralentis télévisés (l’art aime bien la mise en scène). Ok, mais c’est avant tout efficace : c’est marquer un point en optimisant l’utilisation faite de son corps.
Et devinez quoi, cette fluidité, ce geste qui peut paraître parfait dans sa gestuelle et son timing (ichi-go ichi-e…), c’est le résultat d’un long travail, d’heures d’entrainement, de répétition… où l’on ne compte pas le temps pour y parvenir.
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