Le Shintoïsme est une partie indissociable de notre pratique. Il pourra passer inaperçu à un oeil néophyte, mais imprègne pourtant notre tradition martiale. Peu de personnes connaissent vraiment le shintoïsme, faisant un faux amalgame avec des pratiques religieuses occidentales; cet article, paru dans la première édition du magazine Yashima, essaie donc d’en présenter certains aspects dont le dojo harae : la purification de dojo.
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A l’image de la première édition de ce magazine, les dojo aussi fêtent en général leur ouverture. Dans une école telle que la Takamura ha Shindo Yoshin Ryu, empreinte de shintoïsme, il est de coutume de réaliser alors un dojo harae : une purification de dojo. J’ai ainsi assisté à plusieurs ouvertures de dojo, en Allemagne, au Portugal, ou encore aux Etats-Unis avec la présence d’un prêtre shinto. Le dojo harae est effectué plusieurs fois dans l’année, non seulement à l’inauguration mais aussi lors du kagami biraki (cérémonie de l’ouverture du miroir) et pour les solstices et les équinoxes. En mars dernier ce fut mon propre dojo, le Tesshinkan qui accueillit un dojo harae pour son inauguration officielle.
De nombreuses écoles d’arts martiaux ont des liens avec le bouddhisme et le shintoïsme. Plus rares sont celles uniquement influencées par le shintoïsme, tel est le cas de l’école Takamura ha Shindo Yoshin ryu. Sensei Takamura baigna dès sa plus tendre enfance dans le milieu du shintoïsme et fit plusieurs pèlerinages au fameux mont Kurama au Nord de Kyoto tout au long de sa vie. Le site de Kurama-yama, culminant à 542 mètres et entouré d’épaisses forêts à la faune parfois sauvage abrite de nombreuses légendes, comme celle du célèbre guerrier Minamoto no Yoshitsune qui aurait appris le kenjutsu auprès du roi des tengu Sōjōbō. Ses expériences passées marquèrent profondément sensei Takamura et l’école converse ainsi de nombreuses traditions shintoïstes.
Une première difficulté lorsque l’on parle du shintoïsme est d’en décrire la nature. Le shintoïsme célèbre les cycles naturels et voit en chaque élément provoquant un sens de sérénité et d’émerveillement un kami (notion différente du “dieu”). Ainsi des arbres de taille extraordinaire sont souvent entourés d’une shimenawa (corde constituée de torsades de paille de riz et tressée de gauche à droite) et sont supposés être des kami. Les rites du shintoïsme sont principalement centrés sur la purification (misogi) visant à se débarrasser des kegare (impuretés et corruptions : à la fois des impuretés pouvant venir de nous ou des influences ayant corrompu notre existence ou notre âme) mais réduire le shintoïsme à ses cérémonies ou son folklore est passer à côté du shintoïsme. Sensei Threadgill décrit souvent le shintoïsme comme une expression de la nature existentielle japonaise. Le Shinto n’a pas de dogme révélateur, d’écritures d’inspirations divines, et semble peut concerné par un idéalisme moral. Le terme Shinto identifie un ensemble de coutumes locales, de croyances et de traditions formalisées dans des rites et des cérémonies uniques au peuple japonais. Sorte de forme animiste shamanique il reste profondément japonais: le shintoïsme est un récipient de l’identité sociale japonaise et il pénètre la société et les coutumes japonaises de nombreuses façons.
Un dojo harae manifeste ce même besoin de purification des lieux afin de permettre la présence des kami. Le dojo est donc nettoyé de fond en comble afin d’en retirer toute salissure, poussière ou toile d’araignée : le propreté étant centrale et fondamentale dans le shinto, il est impossible d’aspirer à une propreté spirituelle sans propreté physique, aussi la première étape à un rituel de purification est le nettoyage concret de l’ensemble du dojo. Chacun prend part à la tâche car le nettoyage participe au misogi de chacun – à l’image du passage d’un linge humide sur le sol d’un dojo qui est autant un nettoyage qu’une purification.
Le nettoyage terminé, le kamidana – littéralement l’autel recevant les kami – doit être correctement apprêté : chaque élément a sa place et les offrandes doivent être renouvelées. Ces dernières sont : le riz – élément central de la culture japonaise puisque la solde des samouraïs étaient calculées en production de riz, l’eau, le saké, le sel ainsi que les branches à feuillage persistant (sakaki tate) ornant le kamidana. Il est important de noter que les denrées précédentes devront être utilisées pour une consommation ultérieure.
Chaque participant aura pris soin d’apporter des offrandes supplémentaires qui seront placées en dessous du kamidana; en plus du riz, sel et saké déjà présents sur le kamidana, il est de coutume d’apporter des fruits et légumes à la condition qu’ils n’aient pas une forme pointue (pouvant faire penser à un sabre et être offensant pour les kami) ni de couleur violette. Pommes, oranges, mandarines sont donc souvent présentes sous nos latitudes. Ces offrandes seront par la suite partagées entre les participants lors d’un repas commun, les kami étant supposés avoir pris leur part entre temps.
La cérémonie en elle-même est relativement simple. Les participants s’alignent comme pour un cours et le maître de cérémonie se place en seiza face au kamidana. Il récitera en japonais plusieurs norito (prière) visant à célébrer les kami et maîtres du passé de l’école afin que ceux-ci apportent leur protection au dojo. Ces prières sont rythmées par plusieurs claquements de mains pour attirer leur attention et plusieurs saluts. Afin de purifier les participants, le harae gushi (bâton auquel est relié un shide – une banderole de papier en forme de zigzag) est agité au dessus de ces derniers. Il est supposé capturer dans le shide les démons et les impuretés. Une fois cette protection invoquée, le maître de cérémonie se déplacera aux quatres coins du dojo accompagné des autres participants. Pour purifier symboliquement le dojo il y jettera du sel – élément purificateur central chez les japonais – et du saké. En temps normal ce parcours devrait se faire par l’extérieur du bâtiment mais comme beaucoup de dojo peuvent être mitoyens d’autres bâtiments les rites shintoïstes s’adaptent et le même procédé se déroule par l’intérieur du lieu.
Après quelques salutations supplémentaires en seiza, la cérémonie est terminée. C’est à la fois une cérémonie solennelle et simple qui renforce les liens du groupe – l’un des principaux principes éthiques du shintoïsme mettant en avant l’importance du groupe face à l’individu. Les participants profitent alors de la présence de chacun pour partager ce moment. C’est l’occasion d’échanger des histoires sur l’école et de partager tous ensemble les offrandes restantes du dojo harae.
Le Shintoïsme est toujours présent dans la lignée Takamura du Shindo Yoshin ryu. Il influe son état d’esprit et par ce biais impacte les aspects techniques de l’art, mais il est plus facile de le percevoir dans les aspects mythologiques et esotériques de l’école. Le Harae et le misogi sont une partie de l’intégration et du développement de l’individu dans l’art, devenant un élément de valeur du plus large groupe et assurant ainsi qu’il contribue à la survie de l’école – intacte – à la prochaine génération.

harae gushi lors du dojo harae du Tesshinkan (il s’agit d’une version spéciale avec un shimenawa)
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