Aujourd’hui avait lieu le forum des associations. Une réunion à grande échelle des associations avec les habitants d’une commune. Pour permettre au maximum de personnes de découvrir les différents clubs, une journée complète y est consacrée. Une longue journée souvent faite d’attente, qui favorise l’introspection ou la réflexion.
Certains lisant ces lignes ont dû me croiser au forum. J’y présente une vieille école japonaise dans un format condensé; il me faut en quelques minutes apporter nombre d’éléments qui nécessiteraient en réalité un cours d’Histoire du Japon, de géopolitique, d’Histoires des arts martiaux et un gros grain sur la transmission et l’art de la transmission. Si je n’ai pas perdu rapidement mon interlocuteur, à la fin il ne saura toujours pas ce que nous pratiquons et en quoi cela diffère du judo, du karaté et des budo en général. Heureusement les vidéos aident à répondre à la problématique purement physique.
Toujours est-il que j’en étais à des réflexions intérieures sur la transmission intra-générationelle – avec un certain nombre de neurones en berne depuis le concert de U2 la veille – lorsque le speaker souhaita à toutes les associations d’avoir « bien rempli leur carnet d’adhérents ». Crac, ma pensée ne fit qu’un bond. La phrase sonnait comme un slogan pour jeunes commerciaux devant remplir leur carnet de commande. Je m’adossais dans mon siège, pensif (je suis toujours pensif, ça permet de voir venir les choses), et m’avouais qu’effectivement nombre d’associations faisaient aujourd’hui « le plein ». Et c’est tout à fait normal : pour payer des profs, louer une salle, faire des sorties ou des événements, permettre aux meilleurs de participer aux compétitions, etc… Tout cela a un coût, dont la source est avant tout la cotisation de chaque membre. Plus de membres, plus de possibilités.
Les anciennes écoles japonaises n’ont pas la même problématique. La transmission se fait par lien direct de maître à élève. Il pourrait n’y avoir que peu d’élève, du moment que la transmission totale se fait vers un élève, l’école survit. Il s’ensuit une recherche de la qualité sur la quantité. D’où mon sursaut à l’annonce du speaker.
En regardant le contexte d’un forum d’association avec plus de recul, on peut se poser la question de la cohérence d’y présenter une école japonaise traditionnelle. Schématiquement, dans un forum les associations cherchent des membres, les potentiels adhérents furètent au hasard des allers pour trouver leur prochain passe-temps. L’offre et la demande (la consommation au milieu). Une vieille école n’a pas d’attitude active de recrutement. Elle est passive et observe qui souhaite la rejoindre. Elle va étudier avec plus d’intérêt les personnes ayant une recherche active, un peu comme une recherche d’emploi. Essayez de convaincre un employeur de vous choisir parce que vous passiez et que votre boîte à l’air sympa (ce qui en soi est déjà pas mal). Cela peut sonner snob, ça l’est sûrement mais songez qu’auparavant vous deviez présenter des lettres de recommandations et être parrainé pour entrer dans une telle école… Et c’est encore le cas dans plusieurs d’entre elles.
Ok, alors pourquoi être à un forum me direz-vous ? Bon ce n’est pas pour le repas gastronomique du midi malgré la gentillesse du service de restauration (en plus j’ai le défaut de tourner au coca zéro). Faisons un petit rappel : les anciennes écoles (koryu) sont en voie de disparition. Plus de 700 écoles étaient dénombrées à l’époque Edo, de ces dernières il en reste moins de 100 (largement), un siècle et demi après. La faute à de nombreux facteurs : la disparition des samouraïs, l’occidentalisation du Japon et le désintérêt pour le traditionnel autochtone, la modernisation, …
A notre époque où les arts martiaux traditionnels n’ont pas le vent en poupe, si les écoles ne reposent que sur les demandes de pratiquants déjà expérimentés et ultra-motivés (effectif plutôt rare vu les prémices de la phrase), nous poursuivrons l’agonie et la disparition de ces écoles. Il faut pouvoir permettre aux néophytes de connaître l’existence même de ces écoles. Nombre d’eux ne seront pas intéressés, mais il suffit d’un ou deux, ou d’un contact indirect pour créer une dynamique qui – qui sait ? – permettra d’apporter un futur élément clef de l’école. En cela les forum sont l’occasion d’une rencontre avec l’extérieur – même pour une école japonaise classique.
Clairement nous n’abordons pas le forum dans une démarche active de recrutement. Nous sommes plutôt dans un échange pour faire comprendre ce que nous sommes et nos buts. Nous n’avons pas de compétitions ou de ceintures de couleurs, ce qui troublent le public prenant comme référentiel le judo ou le karaté. Nous n’essayons pas de battre le partenaire dans une opposition libre, nous apprenons de lui pour progresser, et un jour être capable d’appliquer les principes de l’école à pleine vitesse sur une résistance totale. Comparé aux clubs sportifs, fortement guidés par la compétition, nous sommes un vestige du passé, conservant des techniques employées par les samouraïs et leur culture. Assez loin du sport actuel, nous sommes plutôt une société culturelle où se transmet une tradition martiale.
L’exercice n’est pas facile tant les associations sont classifiées : sportive ou culturelle. Nous sommes à la fois une pratique physique et culturelle, sans que ces deux éléments se disjoignent. Et si nous sommes discrets (pas de compétition ou de grande manifestation publique), nous accueillons des personnes intéressées par cette culture, ces arts martiaux et leur survie à l’époque moderne. J’espère que ce forum aura été l’occasion de vous faire connaître ces écoles et plus particulièrement la notre.
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