
Atelier au dojo Tesshinkan
Comment progresser en tant qu’élève ? De nombreux pratiquants sautent d’enseignant en enseignant pour arriver à progresser. Ce faisant un certain nombre (peut-être les plus lucides) font l’amer bilan que leur progression n’est pas à la hauteur de ce qu’ils espéraient… Pourtant parmi leurs enseignants peuvent figurer des professeurs reconnus. Où se situe le problème ?
Honnêtement les arts martiaux sont des disciplines complexes. Il est nécessaire d’apprendre avec son propre corps ce qu’arrive à faire une autre personne et ce avec des moyens de communication limités : l’échange verbal (qui aide l’intellect mais reste dissocié du ressenti) et le ressenti direct (qui nécessite une sensibilité au niveau du ressenti à capter).
Bien sûr, la première étape est d’être présent. Présent au sens physique du terme. Les grands noms des arts martiaux ne comptent pas leur nombre d’heure sur le tatami, il est toujours collossal – d’autant plus que les adeptes de haut niveau finissent invariablement par enseigner aussi leur savoir. Le moins nous nous entrainons, le moins nous sommes en contact avec les moyens de communication capables de transmettre ce savoir d’une part et le moins nous cherchons par nos propres moyens à atteindre le but recherché (que ce soit la maitrise d’une technique ou la compréhension d’un principe) d’autre part. En général la présence physique est la toute première étape du débutant, celle qui déterminera sa poursuite dans les arts martiaux : est-ce que je vais au dojo quand il fait froid / mauvais / beau / chaud, quand j’ai autre chose à faire, etc… Dans nos vies bien remplies, le chemin vers le dojo ne sera jamais un boulevard intemporel : tout concourra à s’y opposer mais l’assiduité est la première étape indispensable à votre apprentissage.
Malheureusement, être présent physiquement n’est qu’une infime partie de la solution. Ce qui change fondamentalement notre progression dans toute activité incorporant un enseignement est notre présence au sens psychologique. Il n’ y a pas pire élève que l’élève passif, simple réceptacle d’un savoir qui est supposé couler du professeur jusqu’à lui. Il pense recevoir l’enseignement mais de par sa passivité le savoir/savoir-faire ne s’ancre pas – et pourtant il aura l’impression de tout bien faire (n’avons nous jamais entendu « je viens tout le temps mais je ne progresse pas »). Les enseignants de l’école publique et privée le savent bien et ils essaient d’animer leurs cours de façon à éveiller l’intérêt de l’élève (ou du moins les bons le font). L’élève voulant vraiment faire sien un savoir ou un savoir-faire doit être acteur de son apprentissage et donc présent / actif dans cette acquisition. Il ne doit pas voir le professeur comme un distributeur à connaissance mais aller chercher cette connaissance (vouloir la voler), en répéter les exercices, la faire sienne, la tester lorsque son niveau le permettra (N’oublions pas la méthode Shu-ha-ri au coeur de notre pratique).
En tant que professeur mais aussi élève, je vais me faire plus direct : un élève passif prend la place d’un autre sur le tatami et faire perdre son temps à son professeur – d’autant plus dans le cadre d’une koryu. Cela ne signifie pas que l’élève doit être un habile technicien ou un génie, mais il doit être dans la bonne disposition d’esprit pour que la relation sensei – deshi aie un sens.
Au premier abord, être présent englobe le fait d’être attentif aux directives, de réaliser ce que le professeur demande – même lorsque cela parait nous dépasser, de faire confiance à ce dernier – même lorsque la finalité ne nous parait pas évidente. Très rapidement « être présent » devient aussi mettre la bonne intention dans le kata, pas une fois, pas sur une répétition, mais à chaque kata comme si il était réalisé de façon unique (« Ichi-go, ichi-e » : un instant, une rencontre). C’est aussi analyser ce que l’on fait, se corriger et si l’enseignant le propose, poser les questions pour améliorer notre compréhension du geste.
Lorsque je suis entré au TSYR, j’ai vite pris l’habitude de ces séquences où un élève – pour demander s’il fait correctement la technique – la démontre volontairement devant sensei afin de pouvoir se faire corriger. L’élève doit faire fi d’un égo qui l’empêcherait de montrer ses erreurs devant les autres ou son professeur. Sensei Threadgill nous disait ainsi lors du dernier stage en Allemagne : « vous êtes venus pour celà, pour me montrer vos erreurs ».
Dans nos disciplines martiales où la sensibilité doit être développée, la meilleure manière d’y parvenir est de servir de partenaire au professeur. Un élève « présent » recherche cette occasion d’apprendre par le contact, par la réception corporelle de la technique (ukemi). Il fait fi de ses pré-conceptions (« vider sa tasse »), conserve un esprit nyunanshin (souple et flexible) et essaie d’absorber volontairement ce qu’il reçoit du professeur.
Etre présent dans son apprentissage regroupe toutes les actions ou dispositions d’esprit où votre corps et votre esprit seront actifs/participatifs dans l’acquisition du savoir. Nous avons tous nos moments de moindre présence, de déconnection, mais dès le salut nous devons nous efforcer de donner le meilleur de nous-même à l’entrainement : être présent ici et maintenant dans le keiko. Sans cela, même avec un bon professeur et des aptitudes favorables, notre progression sera limitée.
Alors bon keiko à toutes et à tous, et soyez présent(e)s.
Très bon article!
Pertinent, concis, lucide, encourageant, éclairant.
Différents points mis ensembles qui peuvent servir de guide à tous les niveaux.
Un bon rappel pour encourager certains états d’esprit précieux qui se perdent parfois.
Un énorme merci!
Merci pour votre lecture,
Nicolas
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