
Kamidana en direction duquel le salut est effectué
Récemment un article sur le salut dans les arts martiaux a, à nouveau, fait couler pas mal d’encre sur les réseaux sociaux. C’est depuis que je pratique un sujet de discorde récurrent: faut-il accepter des élèves qui refusent d’effectuer le salut traditionnel japonais en début et fin de cours par conviction personnelle ? Le sujet génère toujours nombre de commentaires entre les partisans d’une acceptation du rituel par l’élève et les défenseurs d’une adaptation du rituel aux participants.
Je ne vais pas discuter du salut dans le contexte des budo (karaté, judo, aikido, etc…) mais uniquement dans le cadre du Tesshinkan où nous pratiquons une koryu. Une koryu est une ancienne école d’arts martiaux classiques japonais. Par définition, c’est un anarchronisme, la survie dans un milieu qui n’est plus le sien (la caste des samouraïs a disparu peu après la révolution Meiji) de traditions guerrières. Le but de ses membres est de faire vivre les traditions de l’école et les transmettre à la génération suivante. Ces traditions englobent les aspects techniques, historiques, spirituels et les rituels associés à l’école. Il s’agit d’un ensemble cohérrent et complet, indissociable.
Lorsqu’un élève entre dans une koryu, il le fait en général après une période probatoire où il apprend à connaître l’école et où cette dernière s’assure qu’il s’intégrera correctement au groupe et s’associera pleinement au but de l’école. Qu’il soit débutant ou déjà expérimenté dans un art martial, il accepte de laisser ses pré-conceptions de côté pour apprendre le savoir de l’école. Il est emprein de nyunanshin : un esprit souple et flexible. Lorsqu’un élève refuse le salut – peu importe la raison – il fait passer ses conceptions et ses choix en premier et sélectionne ce qu’il retire de l’école. De fait, une partie de la tradition de cette école est écartée, retirée (et perdue si de nombreux élèves font de même). Il s’oppose ainsi au but même du groupe – transmettre ces traditions et les conserver.
Sensei Takamura était très clair à ce sujet :
L’acceptation ou le rejet d’un reigi correct peut être utilisé pour exposer le dévouement ou la défaillance d’un élève à un sensei. L’élève qui a constamment des questions ou refuse d’embrasser le reigi n’est pas taillé pour poursuivre l’entrainement, car il voit finalement ses propres opinions et ses désirs comme supérieurs aux objectifs du ryu. Aveuglé par son propre égocentrisme, un étudiant irrespectueux du reigi est incapable d’accepter le fait que sa responsabilité en tant que deshi formel est avant tout à la ryu et au bénéfice d’autres avant lui.
Il n’est pas question ici de juger des raisons de ce refus. Pertinentes ou ineptes, elles ne s’accordent pas avec le but de l’école. Prenons un autre exemple : l’école intégre à la fois du travail à mains nues et du sabre, si seul le sabre est pratiqué (par goût, par facilité, pour toute raison…) alors la partie à mains nues disparaitra rapidement. Le salut fait partie de l’ensemble, à la fois un geste simple et important.
Le salut n’est qu’un des nombreux aspects inclus dans ces traditions. Au dojo Tesshinkan, nous respectons une étiquette japonaise (bien que certainement moins rigide que dans de nombreux dojo de budo), nous portons un gi, un obi et un hakama comme le faisaient des générations avant nous, le dojo intégre un kamidana (et nous faisons attention au placement des armes par rapport à celui-ci), nous célébrons certains rites comme le kagami biraki (cérémonie de début d’année) ou les dojo harae (purification / nettoyage du dojo), etc… Le salut n’est qu’une toute petite partie de ce que l’élève découvrira s’il n’est pas habitué aux écoles classiques.
Mais tout commence et termine par le salut. En plus du respect témoigné aux générations précédentes, dans une koryu le salut est aussi une affaire tout à fait martiale. A l’époque Edo, se croiser en pleine rue et entrechoquer la saya (le fourreau) des sabres pouvait conduire à un duel et à un bain de sang. On imagine alors bien que les marques de respect avaient une importance au delà de la simple répétition d’un rituel. Notre façon de saluer, l’angle, où se porte le regard pour surveiller les alentours, quelle main se pose en premier pour rester à même d’utiliser notre sabre plus longtemps… Tous ces éléments permettaient de maintenir des relations respectueuses, les guerriers restant méfiants les uns des autres. On pourra objecter que ces considérations ne sont plus d’actualité. Peut-être, mais les koryu restent un anarchronisme vivant. Peut-être aussi que si on cherche plus loin, que ce soit dans le milieu diplomatique avec son protocole, ou des négociations commerciales on retrouvera certains aspects de ces rituels.
Alors est-ce grave si une personne ne veut pas saluer ? Non. Elle ne correspond tout simplement pas aux attentes de notre dojo et ne peut pas l’intégrer. Et de son côté elle évite d’entrer dans une école où elle aurait du mal à s’intégrer, et pourra certainement trouver une discipline plus en accord avec sa recherche.
NON ! Catégoriquement NON !
« …faut-il accepter des élèves qui refusent d’effectuer le salut traditionnel japonais en début et fin de cours par conviction personnelle ? »
Surtout que ce sont les futurs élèves qui frappent à la porte de nos Dôjô …
S’ils ont des « convictions personnelles » ils n’ont qu’à aller ailleurs ou, mieux encore, rester chez eux.
S’ils veulent « faire » vraiment du Budô, alors ils doivent accepter intégralement Le BUDÔ, avec leurs corps, leurs têtes et leurs cœurs.
Ils doivent s’imprégner du Budô, avec son étiquette, ses règles, ses principes, sa terminologie japonais, son histoire, sa culture, etc., etc. !
Il n’y a pas dans le BUDÔ des demi-mesures !
Mais c’est tellement évident que … ça ne mérite même pas de commentaires.
Cordialement,
Mas-Sensei (Rônin Ryû Budô)