Ichi-go, Ichi-e est une expression japonaise que vous avez certainement entendue au dojo ou tout au moins avez-vous rencontré ce concept. Il peut être traduit en français par « Une rencontre, une chance », matérialisant que chaque instant est singulier et qu’il faut être prêt à le saisir malgré sa fugacité.
Le premier domaine d’application d’une telle maxime pour un pratiquant sera certainement l’entrainement. On le retrouve à différents niveaux de pratique. Il y a tout d’abord l’application de la technique, cet instant crucial où par la gestion du ma-ai et du timing vous devez vous retrouver au bon moment, au bon endroit pour être à même d’appliquer le bon mouvement. Avec le sabre, peu d’échappatoire, si le retard vous tuera à coup sûr, l’anticipation permettra à votre partenaire d’adapter son attaque pour aboutir au même résultat. Le jujutsu/taijutsu peut paraitre plus permissif de ce point de vue, mais insérez-y un tanto où une petite arme dissimulé typique des samouraïs et votre attitude changera.
Ichi-go, Ichi-e devrait aussi être présent à chaque fois que vous réalisez un kata. Certes les kata sont des formes pré-arrangées où chaque participant a un rôle clairement défini, à la fois dans la structure du kata (attaquant / attaqué) et dans sa transmission (partenaire professeur / partenaire apprenant), et ils paraissent laisser peu de place au hasard. Ajoutons que les kata omote, les premiers appris ainsi que ceux qui sont montrés au « public », supposent bien souvent que les partenaires soient de gabarits similaires afin de réaliser le kata sans avoir à l’adapter. Malgré cette apparente « fixation » du geste, chaque réalisation du kata est unique. Uchitachi attaquera plus ou moins vite, le timing, la puissance, la distance voire l’angle varieront légèrement, et Shitachi n’aura qu’une seule chance pour y répondre. La prochaine répétition du kata sera un autre instant unique, ichi-go ichi-e.
En Aikido, il est dit que Morihei Ueshiba ne répétait pas la technique. Il demandait à un élève de l’attaquer et faisait une technique, puis il passait à une autre technique. L’élève devait être attentif pour « voler » une technique toujours changeante. Je crois simplement qu’il s’adaptait à l’instant. Parfois l’apparence externe peut sembler toujours différente, alors que le même principe est employé et adapté aux paramètres de l’attaque. Cela reste, je pense, une façon plus complexe de transmettre que le kata puisque les paramètres varient beaucoup plus qu’au sein d’un kata.
Dans la vie courante, nous avons beaucoup d’expressions qui se rapprochent de cette notion : « savoir saisir sa chance », « profiter de l’instant présent », « saisir les opportunités quand elles se présentent »… Lorsque je pense à Ichi-go Ichi-e, il me revient à l’esprit un stage de Karaté wado ryu et de Shindo Yoshin ryu en Serbie en 2011.
Cela faisait un peu plus de 10 ans que je pratiquais l’Aikido. Si l’art en lui-même m’intéressait toujours, j’étais intrigué depuis longtemps par les koryu – les écoles japonaises classiques pré-1868 – mais comme beaucoup de pratiquants j’en avais une vision livresque et romancée, leur faible diffusion et disons le, ma méconnaissance, ne m’ayant pas permis d’aller à la rencontre de ce type d’école. Sans être bon en aikido, mais suffisamment confiant pour participer à des stages de tout type de pratique sans me blesser bêtement, j’ai commencé à sortir de l’Hexagone et découvrir d’autres maitres que ceux résidant en France ou invités régulièrement dans notre pays. J’ai notamment rencontré Don Angier en Californie, j’étais fasciné par son Yanagi ryu, mais si l’Homme avait des anecdotes savoureuses et un immense savoir, la distance et son âge me convaincurent de poursuivre mes recherches (Don Angier mourut malheureusement trois ans plus tard). C’est par le truchement des liens qui commencèrent à se tisser lors de mes recherches que je fis le pas suivant. Tobin Threadgill, directeur de l’école Takamura ha Shindo Yoshin ryu, venait justement faire un rare stage public en Europe (je ne savais pas à l’époque qu’il venait tous les deux mois en Europe pour des stages privés… Mais extérieur à l’école je n’y aurais de toute façon pas eu accès sans invitation). C’était un homme qui avait bien connu Donn Angier, et toutes les personnes le connaissant m’avaient vivement conseillé de le rencontrer et ressentir sa technique. De plus, il était un des rares occidentaux menkyo kaiden à la tête d’une koryu encore bien vivante.
Nous étions donc en plein hiver, la neige recouvrait Belgrade, le billet d’avion était cher et je ne connaissais personne là-bas. Mais j’avais muri mes recherches et c’était l’occasion de rencontrer Tobin Threadgill en Europe, je l’ai donc contacté et ai pris mon billet pour la Serbie. Sur place, j’ai rencontré l’homme avant le pratiquant, tout étonné qu’un français fasse le déplacement pour voir un américain à Belgrade. Lors du stage, Tobin Threadgill passait auprès de chacun pour corriger ou faire ressentir la technique. Il me laissa verrouiller ma prise sur lui (cette poigne qui me vient de l’Iwama ryu) et dès qu’il commença, mes appuis étaient inexistants, je sentais ma structure perdre son équilibre sans réellement en trouver la source. Lui, souriait, me déstabilisant sans réel effort et avec quasi aucun déplacement. Je savais à ce moment là que je voulais apprendre ce qu’il avait à transmettre. J’ai continué le stage comme un débutant (ce qu’après 10 ans de pratique on est toujours…) redécouvrant les arts martiaux et le jujutsu. Peu importe si nous avons effectué trois heures d’idori (kata à genoux) sur un parquet de basketball, peu importe si mes partenaires judoka ou karateka semblaient aussi perdus que moi… Je profitais de l’instant présent. C’était une chance, une rencontre.
Lorsqu’on pratique il faut savoir rester disponible. Il y a un instant, une rencontre, mais il faut être prêt pour l’instant d’après. Ce fut aussi vrai lors de ce stage en ex-Yougoslavie, lorsque Tobin Threadgill démontra un peu du sabre de son école. Je regardais médusé la précision et la rapidité, en me disant que rien que cela m’aurait convaincu de le suivre lors de ses stages.
La suite de cette aventure, c’est simplement la découverte des koryu de l’intérieur et maintenant le Tesshinkan en France et ce blog pour partager quelques instants…
L’avenir proche, c’est le stage international en France en mai 2016 où j’inviterais pour la première fois Tobin Threadgill.
Ichi-go, Ichi-e – une rencontre, une chance.
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