Le kata est cet enchainement de techniques ou de mouvements, répété comme outil pour former le pratiquant. Pour les partisans de pratiques plus « libres », le kata parait ennuyeux, convenu et manquant d’intensité. Tout au moins est-ce la vision que semble partager nombre de pratiquants modernes.
Si de l’extérieur il peut être considéré comme une suite d’attaques et de défenses (parfois, un seul de ces échanges), rester à ce niveau n’est qu’effleurer la surface et ne pas comprendre l’outil au centre de la transmission des koryu. Je ne dénie pas que l’on voit souvent ce type de travail, des répétitions robotiques ou machinales, l’une après l’autre sans lien entre uchitachi et shitachi, que ce soit en démonstration ou lors d’un cours. Cela m’ennuie autant que nombre de pratiquants. Les koryu ne sont pas exsangues de ce travers, des embu peuvent ressembler à une simple chorégraphie ayant mal traversée les âges.
Le kata est le moyen de transmission des principes intrinsèques à l’école, couvrant les aspects biomécaniques mais aussi les domaines stratégiques et psychologiques. Mais pour permettre leur acquisition et transmission, le kata doit être vivant. Vivant n’est pas une invitation à sortir du cadre du kata ou dégénérer dans une expression libre. Vivant signifie que chaque participant doit le remplir d’intention. uchitachi doit vraiment vouloir atteindre shitachi. Il doit s’investir pleinement dans l’attaque sans anticiper la suite du kata, focalisé sur l’instant.
Bien sûr, uchitachi – qui a le rôle d’enseignant dans le kata – doit doser sa vitesse et sa puissance, mais comme le rappelle souvent sensei, même à vitesse réduite, l’intention doit toujours être présente. Par intention j’entends l’action correspondante au but supposé de uchitachi avec – et j’insiste sur le mot « avec » – la volonté de réaliser cette action. Il n’y a pas de demi-attaque, si uchitachi fait un tsuki, il veut traverser shitachi, il ne peut forcer latéralement sous peine de changer son intention. Sans intention, pas d’attaque juste et dans ce cas, l’application de divers principes en réponse ne sera au mieux qu’imprécise, ou ne fonctionnera tout simplement pas. Et si l’acquisition de ces principes est déjà approximative que penser de leur transmission au fil du temps ?
Shitachi en miroir, doit aussi manifester cette intention. Ses gestes doivent être précis et vifs, avec le même objectif de renverser la situation. Il n’ y a pas de place pour une demie attaque ou une demie parade, car l’issue en serait fatale. Même à vitesse réduite, son action doit le mobiliser entièrement, intensément.
Parfois l’intention est confondue avec la vitesse et la force brute. Il ne s’agit pas d’augmenter la vitesse ou forcer pour compenser ses lacunes. L’intention peut s’exprimer à tout type de vitesse et sans engager plus de force que nécessaire. Il faut comprendre le but de chaque mouvement, l’investir et arriver à s’y projeter jusqu’à ce que le corps en fasse une expression naturelle.
Une amie pratiquante m’offrit une calligraphie pour l’ouverture de mon dojo. Chaque élève du dojo peut y lire « Ichi-go ichi-e », traduit librement : une chance, une rencontre. Autrement dit, chaque attaque est un moment unique dont il faut saisir l’opportunité. Chaque répétition du kata doit être réalisée avec intention, chaque partie du kata doit être imprégnée d’intention sans anticiper la suite du kata, donnant l’opportunité à shitachi de saisir cet instant unique.
Il n’y a qu’avec l’état d’esprit approprié que le kata devient vivant et que la transmission de principes élaborés et affinés par des générations de combattants peut être assurée à la génération suivante. C’est bien le défi des koryu qui préservent un patrimoine guerrier, avec ses principes et ses traditions, alors que l’utilisation même d’un sabre ou d’une naginata n’est plus d’actualité.
Lorsque cette intention est présente lors d’une démonstration, on ressent la tension dans l’air, l’atmosphère est tendue. On a beau connaître le kata et l’issue de cette rencontre, uchitachi et shitachi entrent dans un simulacre de combat à l’intensité palpable. Pour peu que le timing soit court et le travail en sen no sen, il devient difficile de distinguer les rôles de uchitachi et shitachi. Le savoir de générations de guerriers s’y exprime alors de manière vivante.
Exactement notre façon de travailler les Kata dans mes cours! A ne pas confondre avec les développements inhérents aux diverses parties de chaque Kata que nous travaillons aussi bien sûr!!
[…] Le kata et l’intention de Nicolas Delalondre […]
Merci pour vos lectures