Cet article est né de multiples conversations avec des pratiquants de budo moderne. Si tous pratiquaient un art en lien avec l’archipel japonais, nombreux sont ceux qui révisaient allégrement l’Histoire. Le pratiquant passionné ne trouvera donc rien de nouveau dans cet article, mais une petite synthèse ne fait jamais de mal.
Il est difficile de dater l’apparition des arts martiaux au Japon. L’art de la guerre émerge rapidement lors des conflits entre peuplades. Les premières traces de traditions formalisées apparaissent avec les koryu, des écoles d’armes destinées aux guerriers professionnels, mais on sait que les pratiques de l’art de la guerre existaient avant leur formalisation. Ces traditions restent néanmoins attachées dans leur transmission à la caste des samurai. Cette dernière semblent naitre à la fin de l’époque Nara (710-794) du besoin impérial de conquérir des terres aux Ainous. Fin 8ième siècle, début 9ième, l’empereur Kammu crée le titre de sei’i-taishōgun ou shōgun, commandant général des armées afin d’aller vaincre les Emishi au nord-est du Honshu. Bien que ce titre soit temporaire et sous le pouvoir impérial, le déclin de l’influence de l’empereur face à des clans locaux aboutit en 1192 à offrir un rôle politique aux guerriers professionnels. Le bakufu, un gouvernement militaire avec à sa tête le Shogun, fut mis en place et subsistera jusqu’en 1868. Cette période du Shogunat (1192-1868) place donc les samurai (ou plus précisément les bushi – les samurai n’étant qu’un rang parmi ces derniers) à la tête de la scène politique.
L’apogée de la classe guerrière en tant que classe combattante est souvent datée de l’époque Sengoku : la période des royaumes combattants. Cette période de trouble de 1477 à 1573 est une suite incessante de conflits, de combats et de révoltes. Le bushi vécut alors l’art de la guerre au quotidien. Sa pratique est destinée au champ de bataille où la lance, l’arc et le naginata (sorte hallebarde) se taillent la part belle.
Les plus anciennes koryu qui nous sont parvenues naissent peu avant ou pendant cette période, c’est le cas du katori shinto ryu (1447) toujours pratiqué de nos jours. L’araki ryu pour sa part est établi sur la fin de cette époque (1573). Dans les écoles de cette époque, le combat est avant tout envisagé en armure, la lutte lorsqu’elle existe, inclut le combat en armure et avec armes.
En 1600, Tokugawa Ieyasu prend le pouvoir, il devient le nouveau Shogun et impose par un contrôle très strict des daymo (seigneurs locaux) une paix relative de 268 ans au cours de laquelle de nouvelles écoles fleurissent. Dans cette période sans bataille d’importance, les arts martiaux s’adaptent aux nouveaux besoins : le duel, la self-defense urbaine ou les fonctions de police. De nombreux jujutsu se développent très vite et l’art du sabre, arme de prédilection du duel, reste centrale dans les écoles d’armes. Les écoles plus anciennes enrichissent ou adaptent leur cursus (certaines abandonnent progressivement les armes de champ de bataille ou le combat en armure).
Enfin en 1868, au point culminant d’un conflit interne lié au contact avec des occidentaux au pouvoir militaire et commercial supérieur, le shogun abdique et se rend à l’empereur du Japon. Cette date met fin au long système du shogunat, ce gouvernement militaire qui régissait le royaume depuis 1192. Très rapidement le statut social de samurai est aboli et le Japon mène une série de réforme pour rendre son nouveau système politique acceptable aux yeux des puissances occidentales.
De part la disparition de la classe des samurai associée aux événements de 1868, 1868 est souvent employé comme date-seuil pour qualifier les écoles de ko-ryu : ancienne école (fondée avant 1868). Pour leur pratique on parle aussi de kobudo, « ancienne voie martiale ». Leur but comparé à leurs descendantes est plus orienté vers le bujutsu, la technique militaire et le combat sur le champ de bataille, point qu’il faudrait nuancé par le fait que dès l’époque Edo (1600-1868) les techniques ne sont que très rarement utilisées sur un champ de bataille.
Les écoles ou arts créés après 1868 répondent aux nécessités de l’époque : l’ère féodale se termine, les guerriers professionnels ont disparu au profit de conscrits, et les arts martiaux se sont ouverts plus amplement aux civils pour survivre. Si les techniques de combat n’ont plus leur fonction premières alors elles se tournent vers le développement du pratiquant dans la perfection du geste ou la recherche spirituelle. On y associera le terme de shinbudo, « nouvelle voie martiale » (encore une fois cette tendance est déjà nettement présente à l’époque Edo). Progressivement l’aspect sportif entre en ligne de compte et les rencontres de sabre ou de jujutsu se multiplient.
Alors qu’en est-il de ma problématique initiale ? Où sont les kendo, judo, karatedo ou aikido… ? Ils ne sont pas encore nés en 1868. Les arts martiaux japonais de l’époque sont des écoles d’armes ou de jujutsu.
Le premier budo à apparaître officiellement est le Judo en 1882. Jigoro Kano, son fondateur, étudia plusieurs écoles de jujutsu avant de créer un art en accord avec ses préoccupations de développement de l’individu et de but des budo. Il se base principalement sur le Tenjin Shin’yo ryu et le Kito ryu, deux koryu de jujutsu.
le Kendo (terme choisi par la DNBK) fut établi en 1920. Il est issu des techniques et rencontres sportives appelées Gekiken très populaires à la fin de l’époque Edo. Descendant des écoles de sabre, il conserve le duel au sabre de bamboo et se métamorphose en sport suite à l’occupation américaine du Japon.
Le Iaido, l’art de dégainer le sabre et couper en un seul geste, est officiellement établi en 1932. Comme le Kendo il s’appuie sur une pratique antérieure des koryu : le iaijutsu (technique de dégainage), en la normalisation, et développent l’aspect spirituel de la pratique.

Morihei Ueshiba, fondateur de l’Aikido. Surnommé O’Sensei dont la traduction serait « grand maître ».
L’aikido apparait peu avant la seconde guerre mondiale. Sa date de création fluctue mais on peut considérer qu’il apparait entre 1930 et 1945. Son fondateur, Morihei Ueshiba, le créé à partir du Daito ryu Aikijutsu au point que les deux arts restent encore très apparentés de nos jours.
Le kyudo moderne est formalisé après la seconde guerre mondiale. Il normalise la pratique de différentes écoles de tir à l’arc pour en faire un budo moderne à l’image du Kendo et du Iaido et approfondit par son biais l’aspect spirituel.
J’ai gardé pour la fin le karaté-do car c’est un tout autre animal…Si les autres budo héritent plus ou moins lointainement des arts des samurai (kenjutsu, jujutsu, kyujutsu…), le karaté n’est pas relié aux samurai japonais.
Il fut introduit au Japon dans le début des années 1900. Il est issu d’arts martiaux mettant le poing au centre du système et venant de l’île d’Okinawa. Cette île fut annexée par les Japonais en 1872. Ce qui venait d’Okinawa n’étant pas vraiment considéré comme japonais, Funakoshi, père du karaté moderne, dut modifier le sens du terme karaté pour mieux le faire accepter et permettre son développement sur l’île japonaise. Si l’on remonte plus loin, ces arts martiaux d’Okinawa sont des descendants directs de pratiques chinoises importées du continent. Bien que très répandu aujourd’hui et emblématique du Japon, l’origine du karaté n’est donc initialement pas japonaise comme les koryu (ou dit autrement, sa japonisation a été très tardive).
Il faudrait encore citer dans le cadre du karaté le cas particulier du Wado ryu. Créé par son fondateur Hinori Otsuka à partir du karaté Shotokan, il y incorporera des principes de jujutsu japonais (il enregistra son art à la Dai Nippon Butoku Kai en 1938 sous le terme de Shinshu Wadoryu Karate-Jujutsu).
Tous ces arts de qualité ont donc chacun une histoire assez différente. Ce qui peut parfois être mis en avant aujourd’hui comme l’art traditionnel représentatif du Japon (remplacer par n’importe quel budo : aikido, karate, judo,…), est souvent un shinbudo fondé dans le dernier siècle et demi. Ils côtoient leurs vieux aïeuls avec des modes d’organisation et un contexte de pratique différents. Si on y ajoute les sports de combats ainsi que les synthèses modernes, c’est donc ce large ensemble hétérogène que regroupe le vocable « arts martiaux » (ici du Japon).
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