Le rôle d’uke – celui qui reçoit la technique, en pratique celui aussi qui attaque, est majeur dans la progression de tori. Cela est particulièrement vrai dans le kata traditionnel japonais où uketachi (l’uke au sabre) est idéalement le plus avancé des deux pratiquants afin de gérer le rythme et la puissance des attaques. Le rôle de uketachi est primordial pour la progression de shitachi, son attaque conditionnant l’applicabilité de la technique et des principes du kata.
Voici la traduction d’un article de Peter Boylan du blog « The budo bum » qui traite de ce rôle difficile d’uke, à la fois agresseur dans le kata et élément indispensable à la progression.
Comment être un bon Uke
Par Peter Boylan. Avec sa permission pour la traduction. Article original : http://budobum.blogspot.fr/2015/05/how-to-be-good-uke.html
Dans la plupart des styles de budo, il faut deux personnes pour s’entrainer. D’un côté, on trouve la personne qui étudie la technique ou le kata. L’autre personne n’est pas l’enseignant. L’autre personne est leur uke 受け. Avoir un bon uke avec lequel s’entrainer est aussi important que d’avoir un bon professeur. Le problème est qu’un bon uke peut être aussi difficile à trouver qu’un bon professeur.
Uke est votre partenaire d’entraînement. Tout comme dans la plupart des choses en budo, il n’y a pas vraiment de consistance dans la terminologie. Donc, l’aïkido et le judo utilisent uke 受け. Les écoles de Kenjutsu utilisent souvent uchitachi 打太刀. Un autre terme que vous pouvez entendre est aite 相手 ou partenaire. Vous pouvez parfois entendre teki 敵 ou ennemi, mais ce n’est pas exact ou approprié quand on parle des gens avec qui vous vous entrainez.
Pour la personne qui fait les techniques, je suis partial et emploie le terme de judo tori 取り, car il implique de prendre forme à partir du chaos (…randori…). Pour l’instant, je vais utiliser tori pour indiquer la personne qui fait la technique.
J’ai pu voir beaucoup de descriptions de bons ukes, telles que: « fournir une attaque engagée », « offrir des attaques sincères ». Je ne trouve pas ces descriptions très utiles… Qu’est-ce qu’une attaque « sincère » ? Et, pourquoi une attaque devrait être engagée pour être efficace. Croyez-moi, même une attaque à demi-engagée avec une épée ou un couteau ou un pied de biche fera beaucoup de dégâts. J’ai entendu des gens dire que uke doit comprendre pourquoi il doit perdre dans la pratique. Le problème avec cela est que nous sommes à l’entrainement. Il n’y a pas à gagner ou à perdre. Si les gens se soucient de gagner ou de perdre lors de l’entrainement, ils ont manqué le but de l’entrainement.
J’ai déjà écrit à propos de ce qu’est un bon uke, et j’ai vu d’autres bons écrits sur le sujet. Steve Delaney a un excellent article. Ce qui manque semble être une orientation sur la façon d’être un bon uke ou uchitachi. Espérons que nous réussirons à en discuter.
La première chose que fait un bon uke est de comprendre que ce n’est pas un combat et que ce n’est pas une compétition. Cela est souvent négligé ou sous-estimé par les enseignants. Nous devons souligner aux élèves que c’est l’entrainement, keiko 稽古, renshu 練習. Cela devrait aider à se débarrasser de certains ego que je vois imprégner si fortement de nombreux dojo. Dès que les gens ont appris suffisamment pour être en mesure d’entraver ou arrêter la technique de tori, ils le font. Ce n’est plus l’entrainement.
Le travail de uke est de faciliter l’entrainement de leur partenaire. Cela signifie de leur donner accès à leur corps afin qu’ils puissent réaliser la technique ou les kata pratiqués. Si uke rend la pratique si difficile que tori ne peut rien faire, tori ne pratique pas. D’autre part, si uke est si mou que tori peut tout faire sans effort ou challenge, tori ne pratique pas non plus. Le travail de uke n’est pas de fournir des attaques engagées, ou sincères. Le travail de uke est d’offrir des attaques appropriées.
Une fois que les gens comprennent que cela concerne l’apprentissage et non une compétition pour montrer qui est le fort, ils peuvent commencer à apprendre à être un uke. Les bons ukes ne se contentent pas d’attaquer. Si l’attaque est une frappe, il n’existe pas une chose telle une attaque générique qui répond à tous les besoins. Ce qui est une attaque surpuissante ou inutilement puissante pour un débutant, peut être ridiculement sur-engagée et téléphonée pour un ancien. Dans les deux cas, l’attaque est erronée.
Être uke est un travail important et il faut beaucoup plus de réflexion et d’efforts pour le faire correctement que ne font la plupart des gens. Cela semble simple. Quelle que soit l’attaque désignée, uke attaque. Boom. Simple. Mauvais. Uke débute par l’attaque désignée, puis il décide combien d’avertissements il donnera. Téléphonera-t-il le début de l’attaque afin que tori ai beaucoup de temps pour réagir et s’ajuster, ou retiendra-t-il toute indication d’attaque pendant un certain temps. Une grande attaque téléphonée est idéale pour les débutants et les démonstrations publiques, et à peu près rien d’autre. Lorsque tori progresse, uke doit prendre en compte la capacité de tori et offrir une attaque de plus en plus difficile à détecter.
Une fois que l’attaque a commencé, quelle doit être sa vitesse ? Si tori est un débutant, ou si la technique est peu familière, la ralentir de quelques crans. Lorsque tori démontre une capacité à gérer une attaque lente, alors vous pouvez prendre un peu de vitesse jusqu’au point où tori doit travailler pour bien faire les choses. Pas trop cependant. Si uke attaque tellement vite que tori ne peut pas faire la technique correctement, ce n’est plus l’entrainement. S’entrainer signifie le faire correctement. Forcer tori à travailler au-delà de ses capacités est lui voler son temps de pratique. Si tori ne peut pas faire la technique dans les conditions qu’uke fournit, uke fait perdre son temps à tori.
Cela vaut si l’attaque est une frappe de la main, une saisie du poignet, une coupe avec une épée, ou un coup avec un bâton. Si l’attaque est une saisie, mettez-y ce que vous pensez être la quantité appropriée de force. Si tori ne peut pas faire la technique, relâchez un peu jusqu’à ce qu’il puisse. Si il peut faire la technique, ajoutez un peu plus de saisie, ou demandez si il aimerait une saisie plus forte ou avec plus de résistance. J’ai assez d’expérience pour gérer mon propre entrainement. Je dirai à mon uke, « S’il te plaît, sois plus rigide à ce point » ou « s’il te plaît résiste un peu plus » ou tout ce qui est nécessaire pour augmenter la difficulté de la technique pour moi jusqu’à un point où je serais challengé et où je pourrir pratiquer l’élément qui nécessite d’être poli.
Ce genre de communication est, pour moi, essentiel pour un bon entrainement et apprentissage à la fois pour tori et uke. En particulier lorsque c’est un tori sénior travaillant avec un uke junior, ce type de communication offre à la personne apprenant le rôle d’uke, la rétroaction dont elle a besoin pour devenir un meilleur uke. Beaucoup de dojo, que ce soit d’aïkido ou de judo ou d’un autre art, ne prennent pas le temps de former les gens au rôle d’uke. Cette rétroaction est importante et uke en a besoin. J’apprécie toutes les fois où j’ai été uke et où mes professeurs et partenaires m’ont dit ce que je devais faire pour être un meilleur uke à ce moment. Cela m’a beaucoup aidé pour apprendre à être un bon uke.
Uke est un travail difficile. Nous devons y réfléchir. Nous devons donner la bonne attaque, à la bonne vitesse et au bon endroit. Ceci est un autre aspect important du travail de uke qui ne reçoit pas suffisamment d’attention selon moi. Si l’attaque est une frappe avec le poing, un coup avec un couteau, un coup d’épée, ou un coup avec un bâton, elle doit être précise. Tori essaie d’apprendre comment faire face à une attaque réelle. Si son uke ne propose que des attaques qui ne seraient jamais sur la cible parce qu’il ne veut pas blesser tori, il lui fait déjà du mal. Ce genre d’attaque prive tori de l’opportunité d’apprendre un maai ou une distance réelle. Raccourcir votre attaque, ou frapper à côté, ne contribue pas à apprendre quoi que ce soit à tori. Si vous êtes inquiet de blesser tori, attaquez plus lentement, mais restez précis. Une fois que vous êtes confiant dans la capacité de tori à gérer l’attaque lentement, accélérez légèrement le rythme. Continuez comme cela, en maintenant toujours la précision de votre attaque, et vous trouverez ce que peut gérer tori sans lui faire mal.
Je lis souvent dans les cercles de l’aïkido que les gens veulent des attaques « engagées ». Ce que cela semble signifier est ce que je décrirais comme une attaque sur-engagée et en déséquilibre. Uke semble se jeter sur tori au lieu d’attaquer. Juste parce que vous attaquez ne signifie pas que vous devez renoncer à l’équilibre, la posture et la structure que vous développez en vous entraînant si durement. Le premier problème avec cela est que vous privez tori de la chance d’apprendre à rompre votre équilibre. Voilà une leçon très importante, absolument fondamentale dans le judo. Lorsque vous travaillez avec un débutant, vous ne résistez pas coûte que coûte à ses efforts pour prendre votre équilibre, mais vous n’attaquez pas non plus sans équilibre. Ils doivent avoir la possibilité de s’entrainer à prendre votre équilibre.
Une fois que les élèves dépassent la phase initiale de l’apprentissage, alors uke peut attaquer avec une structure de plus en plus stable, donnant à tori un problème de kuzushi toujours plus difficile à résoudre. Encore une fois, cela ne doit pas être impossible, juste être suffisamment difficile pour que tori ai à travailler. Cela nécessite que uke considère ce qu’il fait. Sur quelle leçon travaille tori ? Est-ce que celà aidera tori si uke maintient le même niveau de stabilité et augmente la vitesse, ou est-ce que cela sera mieux si uke ralentit un peu et augmente sa stabilité structurelle ? Être uke n’est pas facile, et il est parfois utile de demander à tori « Comment voulez-vous cette attaque ? »
Une fois que vous êtes à l’aise avec la variation de vitesse et d’intensité de vos actions en tant qu’uke, et que vous travaillez avec un tori expérimenté, vous pouvez commencer à tester le rythme aussi. Je pense que mes aînés s’amusent bien à le faire sur moi. Ils changeront subtilement le rythme de leur attaque, me poussant à attaquer un demi temps trop tôt, ou à attendre un battement de coeur de trop. De toute façon, ils m’ont. Si j’attaque trop tôt, uke s’échappe et il n’y a rien pour moi à part le vide de l’air. Attendez trop longtemps et on trouve la pointe d’une épée à un millimètre de son nez avant que l’on ne puisse faire quelque chose.
C’est une pratique très intéressante pour un tori plus avancé, et elle exige aussi un uke avancé. C’est ce que devrait s’efforcer d’atteindre tout uke. Tori ne peut pas apprendre efficacement sans un bon uke. Pour être un bon uke, vous devez constamment vous demander comment attaquer pour donner à tori la meilleure opportunité d’apprentissage que vous puissiez lui offrir. Uke contrôle la vitesse, l’intensité, la force et le rythme de la pratique. Cela signifie que, sur chaque répétition uke doit réfléchir à la rapidité, l’intensité, la force et au rythme de son attaque. Uke ne doit jamais attaquer en pilote automatique. Chaque attaque doit être considérée pour le bénéfice de tori (et la sécurité de uke. Attaquer en pilote automatique est un bon moyen pour que les choses aillent très mal pour uke).
Le rôle de uke peut être encore plus important que celui des enseignants quand on en vient à la façon dont tori apprend des choses. L’enseignant peut démontrer et corriger, mais c’est avec uke que tori fait ses devoirs où le véritable apprentissage a lieu. Uke a une énorme responsabilité. Il ne suffit pas juste pour uke de lancer n’importe quelle attaque sans y penser. Uke doit choisir le bon mélange d’éléments techniques afin que tori puisse obtenir la meilleure pratique et la plus adaptée aux éléments que cette personne en particulier travaille. Cela signifie examiner quelle devrait être la vitesse de la technique. A quel point uke devrait téléphoner l’attaque afin que tori apprenne à mieux lire le corps de uke ? Quelle devrait être la force de uke dans ce cas? Est-que tori travaille à polir sa technique ? Dans ce cas, l’attaque pourrait être rapide mais pas trop forte. Ou est-ce que tori travaille sur le raffinement de la rupture de l’équilibre ou du vol de l’initiative, ce qui pourrait signifier qu’ils veulent une attaque plus lente mais plus solide et stable de uke. Chaque tori travaille sur des choses différentes et a besoin que uke ajuste son attaque à chaque tori. Chaque tori travaille aussi sur de nombreux domaines différents, donc uke doit s’ajuster non seulement de tori en tori, mais à chaque instant car le même tori travaille sur différents aspects de sa technique.
Être un bon uke est au moins aussi important que le rôle de l’enseignant, et nécessite autant de concentration et d’attention à ce que vous faites que tori y porte. S’il vous plaît, faites l’effort d’être un bon uke. Vos partenaires de pratique en seront reconnaissants, et vous pourriez même trouver que l’effort investi rend aussi le reste de votre technique meilleur.
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