Musubi, ce principe est employé dans la plupart des arts martiaux, que ce soit dans les écoles anciennes, le Karaté ou l’Aikido. Dans ce dernier, on retrouve même le ki musubi no tachi, kata de sabre à deux. Il est à l’origine de « ki no musubi », litérralement « lier les ki ». Dans les arts martiaux il est aussi le lien qui permettra de résoudre le conflit initial entre deux opposants. L’article qui suit est la traduction d’un texte de Marco Pinto initialement publié dans le magazine Dragon Hors série n°6.
Le Musubi dans les arts martiaux
Par Marco Pinto (Takamura ha shindo yoshin ryu). Traduction Nicolas Delalondre.
Musubi est généralement traduit par “lier ensemble » ou « connexion ». Eh bien, c’est probablement une nécessité pour la plupart des choses de la vie, mais lorsque l’on aborde le sujet dans la perspective d’arts martiaux, je dirais que c’est définitivement un “must » (une exigence) si vous essayez d’effectuer une technique à un niveau qui est au-dessus de celui du débutant. Si vous êtes à un niveau de compétence élevé, alors le Musubi sera une des choses que vous essaierez d’atteindre très tôt lorsque vous avez affaire à un adversaire.
Dans les arts martiaux, le Musubi pourrait se retrouver sous toutes sortes de nuances, de l’état de connexion douce (ju no musubi) ou dure (go no musubi) sur le plan physique, ou même essayer d’atteindre une connexion sur le plan mental uniquement.
En ce qui concerne les connexions du corps, quand j’essaie de me connecter à un autre individu et de créer n’importe quel type de Musubi, la partie la plus difficile est de garder le contrôle de cette même connexion… La plupart des gens, quand ils se connectent, partagent le contrôle par cette connexion avec leur adversaire, à cause de leurs efforts pour réellement se connecter à eux. Bien que cela corresponde au concept général de Musubi, qui est de lier, attacher ou de se réunir, il serait de très peu d’utilité voire aucune, dans les arts martiaux. Oui, nous lions notre corps au corps de notre adversaire, et pour y parvenir nous devons atteindre et sentir son centre, mais en même temps nous devons protéger notre propre centre de l’adversaire et ne pas lui permettre de le ressentir, ou ne pas lui permettre d’utiliser la connexion que nous venons de créer contre nous, ce n’est certainement pas le but.
Dans le jujutsu c’est évident; même un débutant, un œil non averti regardant de l’extérieur un couple de personnes effectuant un kata ou une technique de jujutsu, arrive facilement à la conclusion que les deux corps doivent être connectés pour que la technique fonctionne. Mon professeur (Threadgill Sensei) dit généralement que le bon jujutsu est en grande partie d’avoir la capacité à se connecter au centre de l’adversaire et de le contrôler, alors qu’il ne peut même pas sentir le mien. Bien sûr que cela nous amène à d’autres aspects de la qualité de mouvement de notre corps, qui nous permettront de réellement réaliser ceci ou d’échouer dans la tentative… Des prérequis comme une posture corporelle correcte (Shushin Tadasu), une distance appropriée (ma ai) et notre propre connexion corporelle interne, entre autres, sont indispensables pour réussir à atteindre le Musubi approprié dans le contexte des arts martiaux. Si certains ne sont pas présents, les chances d’obtenir une connexion avec laquelle vous êtes en contrôle de votre adversaire, est des plus susceptibles de ne pas se produire. Nous pourrions être en mesure de créer la connexion, mais le résultat sera que l’adversaire aura pris le contrôle, en raison de lacunes dans notre propre mouvement corporel et notre technique, de sorte que le résultat est sans utilité, puisque nous allons juste offrir à notre adversaire un très bon outil pour nous blesser.
Une connexion dure, comme nous en voyons souvent dans divers arts, vous donne, vous, votre adversaire, et l’observateur un message clair de qui est en contrôle. Dès que mon adversaire me touche, il perd son centre. Il s’agit d’une excellente façon d’utiliser le Musubi, alors que la connexion physique exerce également une connexion mentale où la personne contrôlée devrait se sentir complètement dominée, subjuguée par le fait de me toucher.
Une connexion douce est beaucoup plus subtile, et à cause de cela plus fragile et plus difficile à créer sur une base physique. Alors que mon adversaire me touche, idéalement, il devrait sentir la résistance de l’air, du vide, (il a souvent été dit à propos de Mifune Kyuzo sensei 10e dan de Judo que d’essayer de le projeter, c’était comme essayer de jeter un keikogi vide) il n’y a pas de résistance, pas de points d’appui, et à cause de cela il est très difficile d’être projeté puisque nous devrions presque flotter autour de notre adversaire en maintenant ce lien si subtil qu’il n’a même pas conscience qu’il existe, jusqu’au moment où nous avons effectivement décidé de l’utiliser, et de compromettre sa structure à travers cette même connexion qu’il ignorait.
Enfin, nous avons le Musubi mental, nous avons tous ressenti un lien juste en regardant dans les yeux de quelqu’un … C’est Musubi, la possibilité d’utiliser cela à mon avantage est la partie la plus délicate. Il nécessite une connaissance profonde de la psychologie et de la physiologie. Encore une fois, la connexion est en fait assez facile à obtenir, mais la plupart du temps, cela arrive dans des conditions égales entre les deux prétendants, il n’y a pas d’avantage à cause de la connexion de chaque partie. La plupart du temps, quand deux personnes se connectent mentalement juste en regardant dans les yeux l’un de l’autre, ils peuvent voir beaucoup, mais ils s’exposent également à ce processus. Je crois que le Musubi mental est encore plus dur à obtenir, parce qu’il est si difficile de se protéger contre l’exposition à votre adversaire; la plupart du temps, quand on cherche à se protéger de cela, on va rompre la connexion.
Si nous regardons deux combattants de Karaté, en quelques rares occasions, vous pouvez voir une personne se déplacer et en frapper l’autre sans même que celle-ci ne bouge ou esquisse un mouvement. Ce n’est pas fait juste avec la vitesse, c’est lié à la capacité de créer cette connexion mentale et diriger l’esprit de l’adversaire vers un endroit qui diffère légèrement de la réalité, et ainsi permettre à une ouverture d’être créée par l’inertie mentale créée chez votre adversaire.
Maintenant, en s’éloignant du contexte des arts martiaux, Musubi est une partie de notre vie quotidienne, le Shintoïsme enseigne que le Musubi est “le mouvement et la combinaison des forces génératives de la vie” (citation du Révérend Barrish), il est le lien et les attaches que nous avons avec notre famille, nos amis et les gens avec qui nous partageons la vie, ainsi que la connexion aux ancêtres, les Kami et les générations futures. C’est ce lien à des choses autour nous, passées, présentes et futures, qui nous relie à cette Terre et à la vie dans son ensemble.

Le Musubi en dehors du tatami
De gauche à droite : Ohgami sensei (8e Dan Wado-kai), Threadgill sensei (Menkyo Kaiden, Shindo Yoshin ryu) et Marco Pinto.
Comment l’utiliser dans les arts martiaux pour défaire concrètement mon adversaire, c’est ce que je continue à chercher…
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Marco Pinto étudie le wado ryu (wado kai) depuis 1990 et a participé à de nombreuses compétitions (2e en combat par équipe à la coupe du monde wado kai de 2000, 2e en catégorie open à la coupe d’Europe de 2001 et 4e place au championnat du monde de 2004 à Tokyo (Wado ryu renmei). Il étudia aussi le Kashima shin ryu dans le groupe mugen kai (Sueyoshi Akeshi). En 2010 il obtient le shoden menkyo de l’école Takamura ha Shindo Yoshin ryu qu’il enseigne à Lisbonne au Shokushinkan en plus du Karaté Wado ryu. Il vient régulièrement en France partager ses connaissances au Tesshinkan. |
A reblogué ceci sur Aikido Colmaret a ajouté:
Je vous conseille de lire cet article excellemment bien écrit