La structure. Si vous n’avez pas entendu ce mot récemment, soit vous ne pratiquez pas les arts martiaux depuis les dix dernières années (ou plus et vous avez raté ce post), soit … Il est temps de vous y intéresser. Pour discuter de son importance dans le cadre de nos pratiques martiales, je vous propose la traduction d’un post de Peter Boylan. Il transpose par ses mots exactement ce que j’ai pu ressentir de si nombreuses fois en saisissant Tobin Threadgill pour l’attaquer et me retrouvant sans structure stable pour employer ma puissance.
Les principes les plus essentiels en Budo: Structure
Par Peter Boylan. Avec sa permission exclusive pour la traduction. Article original : http://budobum.blogspot.ca/2014/06/the-most-essential-principles-in-budo.html
Une question a été posée à un groupe de budo dont je fais partie, demandant quels étaient les trois concepts les plus importants dans le budo. C’est une question intéressante. Quelles idées sont les plus fondamentales dans l’art que vous pratiquez ? Ces concepts sous-tendent et orientent votre entrainement. Ils dirigent le coeur de votre entrainement et contrôlent quel genre de choses vous pratiquez. Les gens ont proposé pas mal d’idées, y compris:
Gardez votre corps détendu.
Gardez toujours votre centre (ou être centré).
Gardez vos coudes vers le bas, et à proximité de votre corps.
Toujours essayer de contrôler le premier pas.
Beaucoup des idées proposées étaient spécifiques à l’Aïkido, qui est le but de ce groupe. Mes pensées sont plus générales et s’appliquent à toute forme de budo. Ma liste est structure / posture, distance et timing, dans cet ordre. Chaque concept est construit à partir du concept précédent, et sans l’utilisation efficace du concept précédent, le prochain ne peut pas être utilisé efficacement. Tous s’appliquent indépendamment du fait que vous faites du kung-fu, du judo, de la boxe, de l’aïkido, des épées, des bâtons ou des choses effrayantes comme le kusarigama. C’est ma liste, et je ne prétends pas que c’est définitif. Je vous l’offre dans l’espoir de susciter une bonne conversation et l’examen des éléments les plus importants de la pratique et de l’application martiale. J’avais pensé faire d’un seul post, mais il semble que je vais avoir donner à chacun son propre post.
Mon premier principe est la structure / posture. Sans une structure solide, connectée et soutenue vous ne pouvez pas accomplir quoi que ce soit. C’est pourquoi je ne plaisante qu’à moitié quand je dis que la seule chose que j’enseigne vraiment est marcher et respirer. Une bonne structure est ce qui permet le mouvement le plus rapide, le plus efficace, stable et solide. Si vous êtes vouté et roulez vos épaules, inclinant la tête vers le sol et ne vous soutenez pas, vous ne pouvez pas respirer profondément ou efficacement. Etre vouté et avoir une mauvaise posture compriment le torse de sorte qu’il ne peut pas contenir beaucoup d’air. Vous serez fatigué plus rapidement simplement parce que vous ne pouvez pas obtenir assez d’oxygène dans votre corps assez vite.
Etre avachi prive également le corps de son intégrité structurelle naturelle. Si vous êtes avachis, vous êtes déjà déséquilibré. Les gens du judo tiennent debout ou tombent sur la base de leur équilibre, mais cela est vrai pour n’importe qui dans n’importe quel art. Si vous n’êtes pas équilibré, vous n’êtes pas stable dans au moins une direction.
Dans l’image ci-dessus (de ce site), les deux schémas de droite montrent à quoi ressemble notre structure quand nous sommes avachis. Pouvez-vous imaginer d’essayer de faire une activité physique avec ce genre de structure compromise ?
Avec une bonne structure, les charges et les forces peuvent facilement être absorbées et prises en compte, le mouvement est rapide, léger et facile, et les changements peuvent être facilement adaptés. Sans elle, nous ne pouvons pas transporter ou absorber des charges ou des forces, le mouvement est difficile, long et fastidieux, et il est difficile de s’adapter à l’évolution de la situation.
Je l’ai montré à mes élèves d’épée et de jo pendant des années avec un exercice simple. Je les laisse tenir un jo contre mon plexus solaire en le tenant de la manière qu’ils veulent, et je peux pousser en retour le jo vers eux et les pousser à travers la pièce sans aucun effort du tout. Ils ne peuvent rien faire pour me ralentir et je peux les atteindre avec une arme ou mes mains avant qu’ils puissent faire quoi que ce soit. Si la structure du poignet est à côté de son angle optimal même de peu, il va se plier sous la pression et être inutile.

Avec la structure du poignet compromise comme cela (particulièrement clair pour le poignet gauche) une poussée sur la fin du jo fera plier les poignets vers le corps et permettra à un attaquant de pousser facilement.
D’autre part, si le poignet est à l’angle approprié, je peux maintenir un imbécile de 140 kg à l’autre bout du bâton et il ne peut pas pousser vers moi, ou même quelqu’un de la moitié de ma taille. Comment se peut-il qu’en changeant simplement l’angle du poignet où vous tenez le bâton que cela ai un tel impact ? Je vais laisser les ingénieurs en mécaniques et les gars de la physique expliquer les détails, parce que je n’ai pas un background assez profond dans ces domaines pour être suffisamment précis.

Avec les poignets parfaitement alignés, vous pouvez soutenir beaucoup plus que votre propre poids en appuyant sur la fin du jo, et pousser à partir des hanches avec plus d’énergie que les bras peuvent générer.
Cette séparation entre les configurations structurelles faibles et les fortes se retrouve à chaque articulation du corps, et à la façon dont le corps dans son ensemble est disposé. Si la structure du poignet est bon, mais qu’une autre comme la hanche, le genou ou de la cheville n’est pas correctement alignée, l’ensemble de la structure du corps est encore faible et va s’effondrer, même avec des pressions légères.
La structure donne au corps la capacité de se déplacer, et quand cette structure est enlevée, il n’y a pas grand chose que l’on peut faire. Au cours du week-end Howard Popkin a à nouveau insisté là dessus. Il peut, simplement en déplaçant la force et la structure du corps, saper complètement la puissance de personnes plus grandes et plus fortes que moi, et de projeter avec désinvolture, sans même prendre une profonde respiration. Il a simplement maintenu sa structure et a fait le tour de mes lignes de force.
Vous pouvez pousser tout ce que vous voulez sur quelqu’un qui garde sa structure alignée de sorte que votre force est dirigée dans le sol. Il faut très peu de force pour maintenir votre structure sous ce genre d’attaque. La force de l’attaquant pousse réellement votre corps à maintenir une bonne structure sans l’addition de quantité d’énergie de votre part. Si vous décidez de repousser, c’est en fait facile à faire parce que votre structure est déjà son soutien et la négation de sa puissance. Lorsque vous le repoussez, il vole.
Il est intéressant que, selon Jigoro Kano, fondateur du Judo Kodokan, l’un des deux grands secrets d’un Judo fort est 崩し kuzushi. Kuzushi vient d’un verbe en japonais qui signifie démolir, abattre, casser des choses en parties plus petites. Parfois, il implique de saper et détruire une fondation. C’est l’une des grandes réalisations que Kano a mis dans son Judo. Si vous détruisez la base de la structure de quelqu’un, que vous leur prenez leur fondation et retirez le support de leur structure, ils deviennent incroyablement faibles et une petite femme peut projeter un homme puissant.
Cela est vrai quelque soit l’art que vous pratiquez, armé ou non, que ce soit du jujutsu, du karaté, de l’épée ou de la chaîne, du baton ou de la corde. Vous maintenez votre posture et vous détruisez vos adversaires.
La première étape dans la maîtrise de budo est d’apprendre à bien maintenir votre propre structure. Si vous ne pouvez pas le faire, rien d’autre n’est possible. Une fois que vous l’avez obtenu, vous avez une base solide pour travailler. Ensuite, vous apprendrez à manipuler et nuire à la structure de votre adversaire. Une fois que vous détruisez l’intégrité de sa structure, les projections et les clefs sont faciles. La point important est que la destruction de l’intégrité de la structure de quelqu’un n’implique pas de lui faire mal. Cela signifie simplement de le faire s’effondrer ou s’avachir ou s’éloigner d’une position équilibrée. Une fois que vous avez fait cela, la technique employée n’est pas très importante parce que sans une structure solide et équilibrée, il est presque impossible de se défendre, même face à une très mauvaise attaque.
Les Judoka passent une immense quantité de temps à pratiquer des techniques de déséquilibre pour atteindre cet objectif. Les gars de l’Aikido travaillent sur les mouvements pour retirer les bons alignements physiques de l’adversaire. Les pratiquants du Daito Ryu travaillent à le faire avec les plus petits mouvements possibles. Le tout se résume à la même chose. Détruisez la capacité de la structure coroporelle à le soutenir, et la personne ne peut résister à quoi que ce soit.
Il y a deux côtés dans la structure dans le budo. Créer et maintenir une structure efficace, solide, et mobile en vous tout en sapant la structure de votre adversaire et la rendre incapable de le soutenir lui et ses mouvements. La maîtrise de la structure est indispensable à tout ce que nous faisons dans le budo. Nous ne pouvons pas commencer à nous déplacer et respirer correctement jusqu’à ce que nous apprenions à le faire avec une bonne structure. Nous ne pouvons pas nous défendre contre quoi que ce soit sans une bonne structure. Les attaques efficaces sont impossibles avec une structure instable.
Une bonne structure est à la racine de tout bon budo, que ce soit un art de frappe, de saisie ou une pratique d’arme. Sans une bonne structure, vous n’avez rien. C’est pourquoi il est le premier de mes principes essentiels du budo.
Cela rejoint beaucoup ma façon d’enseigner!
Je crois que cela devrait faire partie (et une partie importante) de toute bonne école d’arts martiaux
A reblogué ceci sur GRAFAL et son wordpresset a ajouté:
Si vous n’avez jamais entendu parler de la stucture osseuse c’est que vous êtes soit une guimauve, un gastéropode ou tout simplement vous n’en avez rien à faire, mais vous l’paierais soyez sur !
Bonsoir, l’article est succinct mais bien utile pour le néophyte. J’aimerais savoir ce que vous pensez de la pratique de l’immobilité des AM chinois ( particulièrement importante en Yi Quan/Dacheng Quan notamment puisqu’elle précède celle du mouvement) pour acquérir une structure correcte. Savez-vous si ce genre d’exercice est/était pratiqué dans les koryu ou les gendaï budo comme l’aïkido ? (pour info j’ai posé une question similaire mais un peu plus spécifique à Guillaume Erard dans son dernier article, j’attends sa réponse). A part ça votre site est formidable ! Bien cordialement
Bonsoir,
En ce qui concerne les arts chinois je manque d’expérience directe pour comparer. Pour les koryu, dans la pratique du Takamura ha shindo yoshin ryu, il y a une pratique interne spécifique de 8 kata solo (avec des formes omote et ura); l’accent est mis sur la gestion de cette structure, du transfert de poids et de l’usage de muscles spécifiques. Tobin Threadgill indique que « Commençant comme un mouvement simple et décontracté, il évolue ensuite pour inclure un alignement structurel spécifique avant de mettre en œuvre une dynamique musculaire précise. Le but est d’obtenir une meilleure connaissance de la structure osseuse et un renforcement musculaire adapté. Sur la base de ces deux concepts, il est ensuite possible de rediriger les forces sans le faire savoir à son adversaire. En bref, l’idée ici est de «contrôler» le centre de votre adversaire sans que lui soit en mesure de «sentir» le votre. »
Ces kata proviendraient des influences chinoises de l’école. L’école Shindo Yoshin ryu englobait les enseignements de différentes lignées de Yoshin ryu, spécialement l’Akiyama Yoshin ryu à travers le Tenjin Shinyo ryu. L’Akiyama Yoshin ryu a été fondé par Akiyama Shirobei Yoshitoki en 1632. Akiyama pratiquait la médecine chinoise à Nagasaki et est censé avoir appris des techniques de boxe de marchands chinois. Il aurait créé son art à partir de cette base chinoise. Les exercices du Nairiki no gyo proviennent de cette lignée de Yoshin ryu et de ses racines chinoises.
Dans la branche Takamura ha shindo yoshin ryu ces enseignements ont été conservés. Malheureusement le judo dont le Tenjin Shinyo ryu est aussi l’une des racines ne semble pas avoir intégré cette partie.
Pour l’Aikido, je connais d’expérience le style Iwama ryu. Le principal exercice solo est le suburi (dont parle l’article de Guillaume), le reste du travail interne n’est pas spécifiquement séparé de la pratique dans cette école. Ellis Amdur aborde d’ailleurs ce sujet dans l’article suivant : https://surlespasdemars.wordpress.com/2013/09/27/aikido-et-entrainement-a-la-puissance-interne/.
De l’article de Guillaume j’ai aussi beaucoup apprécié la perspective du iaijutsu comme un élément du travail interne. Cela rejoint ce que je constate aussi au quotidien, et Takamura sensei indiquait que si le jujutsu est l’affaire de centinmètres, le sabre est une histoire de millimètres (et donc une contrainte très grande pour bien utiliser son corps…)
En espérant avoir pu vous donner quelques pistes…
Bonjour et merci beaucoup pour votre réponse. J’avais déjà lu la traduction de l’article d’Ellis Amdur sur votre site, mais je vais la re-relire et essayer de me procurer ses ouvrages…. La “redirection invisible de force” que vous mentionnez (autre superbe série d’articles 🙂 )est me semble t-il compatible avec les méthodes chinoises /actuelles/ de travail statique mais ce qui me trouble c’est que d’après Guillaume Erard, qui m’a aimablement répondu, ça n’a rien à voir avec ce que l’on recherche en aïki… le mystère s’épaissit. Réponse peut-être un jour… ou non . Merci pour ces pistes (je vais googler “Nairiki no gyo”) et bonne journée !
Le problème c’est que la notion d’aiki est polymorphe. Les arts l’employant ne mettent pas les mêmes notions derrière… J’ai souvenir d’un pratiquant chevronné de Daito ryu qui subissant l’équivalent d’un aiki age, demandait à Mr Threadgill oû il avait appris l’aiki. Nul part, il s’ agissait de notre manière de faire la technique dans notre école et nous n’employons pas le terme ‘aiki’ (qui au fil des factions de Daito ryu et Aikido devient aussi insaisissable que ‘ki’). Dans cet exercice nous utilisons notamment les principes que développent la pratique interne des nairiki no gyo.
Concernant ce kata, il y a fois à parier que vous rencontrerez peu de liens sur le net ou sans qu’il soit beaucoup plus clair… le mieux (comme pour les méthodes internes chinoises) est évidemment de le sentir physiquement…
Merci. Très intéressant cette anecdote avec ce pratiquant de daito-ryu. Effectivement je n’ai pas trouvé grand chose sur le nairiki no gyo, que j’aurai peut-être la chance de subir un jour, qui sait 🙂 je suis quand même tombé sur ce lien : http://www.allwado.com/viewtopic.php?f=3&t=301&start=30 il y a un commentaire de Toby Threadgill très éclairant même s’il n’y a aucun détail sur le kata en lui-même, la connexion avec la Chine du sud est clairement établie. Ça m’évoque fortement l’entraînement du dachengquan qui lui vient du xingyiquan et du nord de la Chine. La quantité de mouvement/immobilité etc… et les exercices diffèrent mais le but semble être le même : avoir un corps unifié et ressentir la structure de son adversaire. Il y a un article d’Henri Kono sur le site de Guillaume Erard qui semble considérer qu’un tel accomplissement est encore un stade inférieur de la pratique de l’aïkido, mais je n’en suis pas encore là… 🙂
Tel que je le vois pour l’instant, ces qualités sont une fondation pour le reste (à l’image de ce que dit le présent article sur la structure).
[…] petites armes, des épées, des lances et des naginata ou même du kyubado. J’ai écrit sur la structure dans un précédent post. Un autre principe essentiel est ma’ai 间 合, souvent traduit par la distance (au sens […]
[…] pas à l’aise, mais vous avez encore assez pour contrôler, vous déplacer correctement, maintenir une bonne posture, bien respirer, et exécuter une bonne technique. C’est là que vous allez faire le plus de […]
[…] j’ai écrit au sujet de la structure et de l’espace. Étroitement liés et entrelacés avec l’espace est le timing. Le […]