Au détour de pérégrinations virtuelles, on peut parfois tomber sur les styles martiaux que Ueshiba (fondateur de l’Aikido) a pratiqué. C’est ainsi que j’ai trouvé le site Arakido [edit : le site ne semble plus exister au 18/05/17] site officiel du Yagyu Shingan-ryu taijutsu (lignée d’Edo) dont la section « Questions communes » comprend l’information suivante :
– Morihei Ueshiba, fondateur de l’Aïkido, a-t-il étudié le Yagyu Shingan ryu?
– Oui. Ueshiba était un étudiant de Yagyu Shingan-Ryu Taijutsu (Lignée d’Edo), alias Goto-ha Yagyu Shingan-Ryu Taijutsu. Le 6e Soke de notre lignée était GOTO Yagyusai (d’où le nom de «Goto-ha»). Bien que Goto ai nommé Ohshima Masateru dans le rôle de Soke avant sa mort, d’autres Shihan ont aussi continué à diffuser la tradition. Tsuboi Masanosuke a transmis le style à Nakai Masakatsu. Ueshiba a pratiqué au dojo de Nakai à Kaï-machi, la ville de Sakai (près d’Osaka). Ueshiba a déclaré que des vestiges de son étude peuvent être trouvés dans le mouvement de main et les déplacements de l’Aïkido. Notre défunt directeur, Mutoh Masao a été appelé par Kisshomaru Ueshiba pour inspecter le certificat décerné à son père. Le certificat a été identifié comme Sho-Dan Menjou. Les deux noms de Nakai Masakatsu (le maître du dojo) et Masanosuke Tsuboi (instructeur senior) apparaissent sur le certificat.
Il faut savoir que cette lignée est aujourd’hui sous l’égide de Kajitsuka Yasushi qui est aussi soke de la branche Ohtsubo du Owari Yagyu Shinkage Ryu. Cela m’a donné envie de partager avec vous cette traduction d’une interview réalisée en 2008 par Douglas Tong (parution dans l’Iaido journal d’août 2008). La traduction regroupe les trois parties de l’interview originale:
One on One with Kajitsuka Sensei (Ohtsubo branch of Owari Line, Yagyu Shinkage Ryu)
One on One with Kajitsuka Sensei (Ohtsubo branch of Owari Line, Yagyu Shinkage Ryu) Part Two: Yagyu Shinkage Ryu and The Living Sword
One on One with Kajitsuka Sensei (Ohtsubo branch of Owari Line, Yagyu Shinkage Ryu) Part Three: Teaching and Learning
Vidéo : [Owari] Yagyu Shinkage-ryu Hyoho
Douglas Tong a commencé son étude du Yagyu Shinkage Ryu avec le regretté Mutou Sensei (enseignant de Kajitsuka sensei) à Zushi en 1992. Il a aussi le Katori Sinto ryu avec Yoshio Sugino à Kawasaki-shi et le Ono-ha Itto Ryu sous la direction de Sasamori sensei. Il enseigne le Kenjutsu depuis 1994 au Tokumeikan.
Pour compléter ces informations sur le Owari Shinkage ryu et le yagyu shingan ryu de Kajitsuka sensei, je vous propose aussi de lire le retour d’expérience du blogueur budoshugyosha : Expérience du yagyu shingan ryu taijutsu partie 2.
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Tête à tête avec Kajitsuka sensei (branche Ohtsubo du Owari Yagyu Shinkage Ryu)
Par Douglas Tong (avec son autorisation pour la traduction)
Note de l’auteur: Cette interview a été réalisée le 23 Juillet 2008 à Kagurazaka, à Tokyo. Bien que Kajitsuka sensei parle un peu anglais, l’interview a été réalisée principalement en japonais. Nous avons été aidés par deux de ses élèves, un Japonais et un Américain, qui ont tenté de venir en aide pour l’interprétation lorsque le Japonais était trop complexe pour moi. J’ai pensé qu’il valait mieux essayer de préserver ce qu’il m’a dit directement, comme il l’a dit, ce qu’il fit en japonais et en anglais. A différents endroits à travers la transcription de l’interview présentée ici, j’ai ajouté quelques notes qui peuvent aider les lecteurs à comprendre ce que sensei voulait dire. Toute erreur dans l’interprétation de ce que Sensei a dit est entièrement mienne. J’espère que les lecteurs trouveront la lecture agréable malgré tout.
Mes remerciements aux nombreuses personnes qui ont contribué à rendre cette interview possible et qui ont aidé à sa réalisation: M. Jack Hathway, Mme Sawada,Yoshioka Sensei, M. David Kawazu-Barber. Bien sûr, mes sincères remerciements vont à Kajitsuka Sensei pour son infinie patience et sa générosité pour me permettre de l’interroger longuement sur son art et ses pensées.
Première partie: La nature du sabre japonais
Question: Il y a encore une certaine confusion sur ce qu’est exactement « kenjutsu ». Qu’est-ce que « kenjutsu » et comment est-il différent du kendo ou du iaido ?
Sensei: le Kenjutsu signifie combattre avec des épées. Mais dans les vieux jours, nous ne faisions pas que combattre avec des épées. Nous nous sommes battus avec le Bo, la lance, l’arc et les flèches, et d’autres armes. Après avoir perdu ces armes sur le champ de bataille, vous pouvez utiliser l’épée. Après avoir perdu votre épée, vous utilisez le jujutsu .*
(* Kajitsuka sensei enseigne aussi Yagyu Ryu Shingan taijutsu, qui a une composante de jujutsu qui se concentre sur les techniques de combat sans arme, tout en portant une armure complète)
Dans les styles anciens, les styles étaient composites, englobant tout – pas seulement l’épée. Dans l’ancien temps, le kenjutsu était juste l’une des parties. **
(** Ici sensei fait peut-être allusion à des styles anciens comme le Katori Shinto Ryu par exemple, qui contiennent des études dans une variété d’armes comme le lance, le naginata, le bojutsu, le shuriken, etc … Et même incluent un programme de jujutsu)
Dans le Sengoku Jidai*, l’épée était seulement un outil, comme toute autre arme.
Dans le Edo Jidai*, l’ère pacifique, le katana est devenu plus qu’un simple outil. Il est devenu un symbole et une image. L’épée est devenue une personnification. L’épée est également devenue l’indication d’un statut, elle est devenue un symbole de statut social.
(* La période des Royaumes combattants (1467-1600) fut une période de guerre civile et d’intrigues politiques, où différents clans se sont battus pour gagner le contrôle du pays. La période d’Edo (1603-1868), établie par Tokugawa Ieyasu une fois qu’il a battu ses rivaux et pris le contrôle du pays, a été une période de stabilité politique durable de 250 ans.)
Dans le Edo Jidai, nous voyons l’émergence de styles de kenjutsu seulement. Pendant l’ère de paix, nous commençons à voir la séparation des arts militaires. La spécialisation a commencé. Donc progressivement nous avons des styles qui portaient spécifiquement et seulement sur l’épée.
Dans le Meiji Jidai, porter des épées a été interdit et ainsi les arts de combat disparurent progressivement. Certains ont été sauvés de l’extinction de trois façons:
1. la police en a sauvé certains et les a gardé intacts (par exemple, le kendo)
2. certains sont devenus des vitrines de la performance, comme les arts de démonstration **
3. certains ont évolué en sports (par exemple, le kendo, le judo)
(** Kyudo (tir à l’arc japonais) ou Yabusame (tir à l’arc à cheval)?)
Ainsi, traditionnellement le kenjutsu est simplement l’art qui se concentre sur la façon de se battre avec l’épée.
Question: À votre avis, quelle est la façon japonaise de se battre à l’épée ?
Sensei: Dans les temps anciens, le kenjutsu n’a pas été pensé comme quelque chose de spécial. Ce n’est que dans la période Edo qu’il est devenu une chose personnelle *.
(* Je pense ici que sensei fait référence à son idée de l’épée et de l’étude de l’épée devenant progressivement une personnification des idées et des idéaux)
Dans les vieux jours, c’était à propos de la force et de la fierté et de l’émotion seulement. Exemple: « Je suis le plus fort » et donc je le prouve .**
(** Une idée intéressante. Cela semble correspondre avec l’idée que la période de guerre civile était un temps de troubles civils, de combats incessants, d’intrigues politiques avec les thèmes des allégeances, des trahisons, la vengeance et la revanche, etc … La vie n’était pas aussi cultivée que plus tard dans les époques plus paisibles.)
Avant, cela concernait ma fierté. Etre le plus fort.
Mais avec la période d’Edo et le nouveau shogun, l’épée est devenue quelque chose de plus personnel. L’épée est devenue le moyen de faire croître une âme.
Cela n’est pas devenu un moyen de tuer des gens. C’est devenu à propos de la promotion de la vie.
L’escrime est devenu un moyen de vous sauver .*
(* Cela fait penser exactement à l’histoire de l’épopée « Miyamoto Musashi » du directeur Hiroshi Inagaki (renommé « Samurai Trilogy » en Amérique du Nord) qui a remporté l’Oscar du meilleur film étranger en 1955).
Question: Que voulez-vous dire exactement quand vous dites que l’escrime japonaise est devenue à propos de la promotion de la vie?
Sensei: Le kenjutsu était à l’origine juste une façon de tuer des gens. Apprendre à tuer des gens. Des techniques pour tuer.
Mais dans la période Edo, la réflexion a évolué. Ce n’était plus seulement un ensemble de techniques. Il y avait une philosophie dans la technique. Des choses cachées, comme la façon dont vous agissez, ce que vous faites. C’est devenu concerné par la manière. Il y a un sens profond.
Vous apprenez un art martial de sorte que vous n’avez pas besoin de l’utiliser. Utiliser le kenjutsu afin de promouvoir la vie.
Yagyu Munenori a préparé le Heiho Kaden Sho pour le Shogun pour la prochaine ère pacifique .*
(* Yagyu Munenori a été nommé instructeur officiel de sabre pour le Shogun et sa famille, la position la plus haute et la plus glorifiée dans le pays, un poste convoité par de nombreux épéistes professionnels.)
Pour le Shogun pour promouvoir à son peuple, pour enseigner à son peuple son chemin.
Le Shinkage Ryu n’est pas une technique ** pour vous permettre gagner.
C’est une technique afin de ne pas perdre.
(** Ici, sensei dit en anglais «technique», mais il peut signifier d’autres concepts comme « l’art » ou « Chemin »)
Je vais vous parler de deux types d’épée:
1. « Katsu Ken» (littéralement «épée de victoire»): épée pour gagner et tuer. Mais quand vous les tuez, il y aura la haine laissée derrière …*
(* Menant vraisemblablement à des luttes sans fin. Venger la vengeance sans fin?)
2. « Makenai ken » (littéralement « épée ne pouvant pas perdre »): au lieu de laisser la haine derrière, elle laisse une curiosité derrière. Parce que vous ne gagnez pas, mais vous ne perdez pas, il y a un sentiment de respect laissé derrière.
Ainsi, promouvoir la vie …
Deuxième partie: Yagyu Shinkage ryu et « Le sabre vivant »
Question: S’il vous plaît parlez-nous de votre branche de Yagyu Shinkage Ryu.
Sensei: Le Shinkage Ryu a été fondé par Kamiizumi Hidetsuna *. Il avait étudié le Kage Ryu et le Shinto Ryu **. Des deux, il a créé le Shinkage Ryu.
(* Plus tard, il changea son nom de Hidetsuna en Nobutsuna.)
(** le Katori Shinto Ryu est également connu simplement comme Shinto Ryu au Japon.)
Il avait trois étudiants: Hikita Bungaro, Marume Kurando et Yagyu Sekishusai *.
(* Appelé aussi Yagyu Muneyoshi.)
Hikita Bungaro a créé le Hikita Shinkage Ryu et Marume Kurando a fondée le Taisha Ryu.
Yagyu Muneyoshi a enseigné à son fils Munenori * qui a fondé l’Edo-kei (lignée Edo) de Shinkage Ryu.
(* Munenori a été l’auteur du Heiho Kaden Sho, le célèbre traité sur le style Yagyu du maniement du sabre qui a vu l’incorporation de la philosophie zen avec l’escrime.)
Mitsuyoshi*, son fils, a succédé à Munenori et après lui, est venu Yagyu Munefuyu. Cependant, après lui, la lignée d’Edo s’est éteinte.
(* Yagyu Mitsuyoshi était aussi connu comme Yagyu Juubei, une figure populaire et romantique dans le folklore samouraï. Mitsuyoshi a écrit un livre sur l’escrime intitulé Tsuki no Sho, dans lequel il a interprété tous les secrets se transmettant de bouche à oreille à travers trois générations – De Kamiizumi Nobutsuna à Muneyoshi puis Munenori)
Cependant, le petit-fils de Muneyoshi, Yagyu Toshitoshi a établi le Owari-kei (branche Owari), qui est basé près de Nagoya. Cette ligne a continué jusqu’à maintenant. Lorsque Yagyu Gencho était le soke, il avait de nombreux étudiants. Bien sûr, il passa le style à son fils Nobuharu qui est décédé récemment. Le style repose maintenant sur le fils de Nobuharu, Yagyu Koichi. Mais d’autres étudiants séniors de Gencho ont également enseigné. L’un d’eux a été Ohtsubo Shihou. Mon professeur Mutou Masao lui succéda.
Question: D’autres types d’escrime comme les styles chinois ou occidentaux semblent avoir de nombreux échanges de coups. Les styles de sabre japonais semblent généralement s’appuyer sur une coupe unique .* Qu’en pensez-vous ?
(* Le Yagyu Shinkage Ryu a gassho-uchi, le Kashima Shinto Ryu a hitotsu tachi, le Itto Ryu a kiri-otoshi, etc … tous épousent l’idéal d’une coupe parfaite).
Sensei: Je pense que dans un vrai combat, c’est la technique simple qui fonctionne le mieux.
(À ce point, sensei dessine quelques kanji sur un morceau de papier)
Nous avons une expression. Elle est appelée « hakka hisshou« , qui signifie « 8 directions, la victoire assurée ».
(Sensei dessine ensuite sur un morceau de papier 4 lignes qui se coupent en un point central comme une boussole, de sorte qu’il y ait 8 points: N, NE, E, SE, S, SW, W, NW)
Peu importe de quelle direction ils viennent, si vous coupez droit, vous allez gagner …
La chose difficile est de savoir si ILS ont coupé droit. C’est un problème.
Question: Nous avons l’idée, que nous voyons dans les films japonais comme les 7 Samourais, que les combats d’épée ne durent pas très longtemps (par exemple, la scène de combat dans la ville entre le samurai muet et le vantard).
Habituellement l’affaire est terminée en une seule coupe. Pourquoi la mentalité de l’épéiste japonais embrasse cette idée d' »une coupe unique »?
Sensei (souriant): Parce que c’est «cool». (Il y a des rires autour de la table)
Question: Est-ce que la « coupe unique » est importante dans votre style?
Sensei: C’est la coupe la plus basique, mais c’est la plus difficile à réaliser parfaitement. Ceci est un principe fondamental: le plus simple est le plus difficile.
Question: Dans de nombreux styles d’épée, il y a une grande importance accordée au kamae. Le kamae est-il important dans votre style?
Sensei: Dans d’autres styles, oui, il y a le kamae. En Yagyu Shinkage Ryu, il n’y a pas de kamae. Le mouvement est libre.
Question: Aucun kamae?
Sensei: Oui. Il existe deux types de styles: setsuninken et katsujinken.
Setsuninken est une épée de mort et ces styles ont généralement des kamae.
Katsujinken est une épée vivante. Ce type de style n’a pas de kamae.
Question: Pouvez-vous expliquer plus en détail?
Sensei: Dans les styles d’épée de mort, je vais vous dicter les circonstances pour parvenir à vous tuer. De mon kamae, je vous force à faire quelque chose. Le kamae est également un bouclier de défense qui me maintient en sûreté.
Mais ce qui est encore mieux, c’est de ne pas avoir de kamae. Aux niveaux supérieurs, il n’y a pas kamae. Vous êtes alors très flexible. L’objectif est d’être libre de tout kamae. Non limité.
L’épée ou la technique vivante, c’est la liberté.
L’épée ou la technique* sans vie signifie des limitations, comme une action forcée.
(* Ou l’épée de mort)
L’épée ou la technique vicante, c’est la liberté parce qu’elle a son propre mouvement. Elle n’est pas limitée. C’est la liberté d’action et la liberté de but. C’est comme un animal vivant.
L’épée ou la technique sans vie signifie limitation, car c’est comme avoir un seul chemin à parcourir. Il n’y a pas de choix. Pour l’adversaire, c’est tout ce qu’ils peuvent faire. Ils sont contraints à une action, et nous sommes contraints à une seule action. C’est comme un animal mort.
Par conséquent, le concept de katsujinken, l’épée vivante, est une idée qui recouvre toutes les techniques dans ce style, comme une couverture. Elle influence tout ce que nous faisons.
Question: Pourquoi le style est nommé Yagyu Shinkage Ryu?
Sensei:En fait, seuls les étrangers l’appellent le Yagyu Shinkage Ryu. Nous l’appelons tout simplement le Shinkage Ryu. Mais les étrangers ont besoin de le distinguer d’autres styles et comme il a été le style de la famille Yagyu, naturellement le nom est venu de cette façon. Le Shinkage Ryu est venu de la fusion du Kage Ryu et du Shinto Ryu, que Kamiizumi Nobutsuna étudia tous deux. Globalement, cela signifie le style « nouveau Kage ».
Question: Y a t-il d’autres significations au nom?
Sensei: Oui. Kage signifie ombre. Pourquoi ombre? Une ombre ne crée pas son propre mouvement.
Quoi que vous fassiez, votre ombre suit … ou vous reflète.
Donc quoi que fasse mon adversaire, je suis et réagir. Je fonde ce que je fais sur ce que fait l’adversaire.
Comme son ombre …
Question: Diriez-vous que le Yagyu Shinkage Ryu est davantage axé sur l’attaque, la défense ou la contre-attaque?
Sensei: Aucun d’entre eux …. et pourtant, chacun d’eux.
En l’absence de kamae et avec la liberté de mouvement résultante, c’est chacun d’eux.Cela dépend de ce que l’adversaire fait et par conséquence, ce que vous devez faire.
Question: À votre avis, qu’est ce qui rend votre style unique parmi les styles d’épée ?
Sensei: Il a été présenté au shogun. Il est devenu représentatif du shogun .*
(* Et de la nouvelle politique du shogun)
C’est pourquoi il est célèbre.
Il y avait de nombreux styles qui se sont battus pour ce poste, mais le Shogun a choisi ce style à cause de la similitude de pensée et de philosophie ** entre le shogun et le style d’escrime Yagyu.
(** Ici, je vais citer un extrait de l’excellent livre de Makoto Sugawara qui illustre cette relation entre le Shogun et Munenori:
«Peut-être le plus fort principe que Munenori a essayé d’inculquer à ses disciples, c’est que l’escrime n’est pas une compétence acquise pour tuer des gens mais plutôt pour réaliser pleinement sa personnalité, son être intérieur. Ce concept a également joué un rôle pivot dans la stratégie. Bien que Munenori n’avait pas encore intégré le bouddhisme zen dans son sabre pendant les années où il a instruit Tokugawa Hidetada, chacun de ses mouvements semblait orienté dans cette direction. Pour Munenori, l’escrime était beaucoup plus que l’art de développer des techniques d’escrime, elle était la vie même, car cela entraîne l’homme à développer son moi intérieur. En s’entraînant avec Munenori, par conséquent le Shogun Hidetada apprenait les rudiments de l’art de gouverner grâce à l’escrime. »
Source: Sugawara, Makoto, 1988. Lives of Master Swordsmen, les publications Orient, Tokyo, Japon. pp.126-127.)
Question: Pouvez-vous expliquer ce que vous entendez par « il est devenu représentatif du Shogun »?
Sensei: Une partie du Kage Ryu est que vous n’avez pas besoin d’une épée. Cela a été encore plus développé en Shinkage Ryu .*
(* Le concept et la technique de Muto, ou «Non-épée»).
Vous pouvez toujours ne pas vaincre un adversaire et toujours ne pas perdre.
Ne pas gagner, mais ne pas perdre.
Dans la période d’Edo, peu de gens portaient des épées **, donc un style qui ne repose pas sur une épée était requis par le shogun pour le Bakufu, pour les politiciens et les fonctionnaires pour maintenir la paix, sans effusion de sang, si possible.
(** La période d’Edo a été une ère de paix et de stabilité politique. La paix a vu la montée des villes et l’urbanisation de la société en général. Le sabre est devenu de moins en moins concerné par la lutte sur le champ de bataille et reflète plus le souci de scénarios urbains (ie , des embuscades, des combats dans les maisons ou dans la rue) et les circonstances (c.-sur un plancher de bois, sur une route plane) qui les épéistes rencontreraient probablement dans la vie quotidienne.)
En imaginant avoir une épée, vous pouvez vaincre un adversaire. L’épée n’est pas vitale. C’est juste un outil.
Question: À votre avis, quelle est l’idée ou la philosophie fondamentale du budo?
Sensei: Dans les vieux styles, les techniques sont bien sûr importantes. Mais chacun connait les techniques. Elles n’ont pas changé *.
(* C’est à dire qu’elles ont été codifiées et en un sens, sont immuables.)
Mais à partir de maintenant, trouver quelque chose de nouveau est important.
Prenons le mot «kobudo». Ce que nous faisons est classé comme kobudo. Il est formé de ces kanji (il écrit le kanji « ko », puis « bu », puis « do », qui forment le mot). « Ko » signifie généralement « vieux ». Ancien implique généralement mort, un art mort. Mais ce n’est pas vieux. Il n’est pas mort. Il est toujours vivant aujourd’hui.
Je n’aime pas le terme « ko »-budo. Il n’est pas mort. Il est encore vivant. Il s’adapte toujours. Il continuera à vivre et il va s’adapter aux besoins, demandes et à l’atmosphère de l’époque dans laquelle il se trouve. Il s’adapte en permanence.
Alors, n’ayez pas peur d’essayer des choses nouvelles ou de nouveaux défis ou des expériences. C’est l’esprit essentiel du budo.
En japonais, on parle de «défi» *.
(* Ici, sensei utilise l’expression japonaise «cha-ren-ju», inventé depuis le mot anglais « challenge », qui a une signification légèrement différente lorsqu’il est utilisé en japonais.)
Cela signifie avoir l’esprit de l’effort et d’atteindre de plus grandes choses, de plus hauts sommets.
Le budo a survécu en s’adaptant à chaque époque. Pour continuer à survivre, il doit s’adapter et continuer à s’adapter.
Tous les styles qui ont arrêté l’adaptation, ont disparu. La branche Edo de Yagyu n’est plus, malheureusement. Ceci est un parfait exemple.
Question: À votre avis, quelle est l’idée ou la philosophie fondamentale du Shinkage Ryu, ou peut-être plus spécifiquement de votre ligne de Shinkage Ryu ?
Sensei: Notre philosophie fondamentale est d’adapter et de changer. Le changement est important.
Eh bien, peut-être le «changement» n’est pas le terme exact. Parce que le changement a la nuance de l’élimination de quelque chose et de le remplacer par autre chose, quelque chose de nouveau.
«Adaptation» est un meilleur mot. Il signifie qu’il faut ajouter, modifier, pour s’adapter à de nouvelles situations et circonstances.
Si vous n’adaptez pas, si vous changez seulement, alors vous devenez comme les arts martiaux mixtes. Remplaçant quelque chose avec quelque chose de différent. Vous perdez le sens original, le but initial, et l’esprit original du budo.
Nous ne voulons pas remplacer. Plutôt, nous nous efforçons d’adapter …
Troisième partie: Enseigner et apprendre
Question: En tant que professeur, qu’est-ce que vous essayez d’enseigner à vos élèves en dehors de la technique?
Sensei: J’essaie d’enseigner à mes élèves trois règles pour vivre leur vie:
1. Aimez ce que vous faites. C’est le plus important.
2. Faites-le avec le cœur. Nous disons «Kokoro». En d’autres termes, le faire avec tout votre coeur et votre âme.
3. Poursuivez. Continuer à le faire. Ne vous arrêtez pas.
Ce sont les trois règles principales.
Maintenant, après ces trois, je recommande aussi à mes élèves deux rêgles de plus:
4. N’ayez pas peur.
5. Acceptez les choses. Par cela, je veux dire, essayez de nouvelles choses. (Le mot japonais, «Défi».)
Question: En tant qu’enseignant, qu’est-ce qui est le plus important à se rappeler pour les élèves lorsque l’on étudie le kenjutsu (ou le budo)?
Sensei: Ah, une question intéressante. Je voudrais que mes élèves se rappellent que chacun est le même. Il n’y a pas d’étudiants. Il n’y a pas de professeur.
Question: Il n’y a pas d’étudiants, il n’y a pas de professeur?
Sensei: Oui. Tout le monde est le même. Il n’y a pas d’étudiants. Il n’y a pas de professeur. Bien sûr, il y a encore le statut d’enseignant, mais c’est tout.
Question: Je ne suis pas sûr de comprendre.
Sensei: Voici une analogie. Le Budo est comme escalader une montagne. Tout le monde monte la même montagne. Je suis juste plus haut sur la montagne que vous. J’ai vu le chemin que vous prendrez. Donc, je peux souligner certains des pièges que j’ai déjà rencontrés sur mon chemin sur cette montagne.
Toutefois, vous devez réaliser que je suis toujours moi-même entrain de monter cette montagne.
Mais, je ne suis pas un guide vous indiquant où vous devez aller. Nous sommes tous des alpinistes dans le même groupe. Mais il y a, naturellement, certains d’entre nous qui ont plus d’expérience que le reste du groupe …
(À ce stade, l’interprète américain donne son interprétation de ce que sensei vient de nous dire: «Sensei dit qu’il ne nous enseigne pas. Il transmet ce qu’il a appris et expérimenté dans ses années de formation.. »)
Question: C’est une bonne analogie. Merci sensei pour votre temps et la générosité avec laquelle vous me permettez de vous parler de beaucoup de choses du budo. Cela a été une grande session.
Sensei: Pas du tout, tout le plaisir était pour moi.
Post-scriptum de l’auteur:
J’ai eu la chance merveilleuse d’étudier sous Mutou Sensei, un homme très gentil et chaleureux. Il m’a accueilli avec bonté et m’a appris honnêtement. Mutou sensei était un grand maître: patient, compréhensif et encourageant.
Maintenant, j’ai eu la chance d’avoir rencontré et étudié sous un autre grand maître, Sensei Kajitsuka. Son attitude franche et ouverte m’a fait me sentir accepté et son style d’enseignement était très semblable à Mutou Sensei avant lui: patient, compréhensif et encourageant. Je dois avouer que j’ai été très impressionné lorsque j’étudiais et parlais avec lui au Japon. Il est plein de connaissances et de sagesse, mais le plus impressionnant était son esprit enthousiaste: l’enthousiasme pour son art, l’enthousiasme pour l’enseignement, l’enthousiasme pour la vie.
« N’ayez pas peur d’essayer des choses nouvelles. » Il est vraiment inspirant.
Tiens?! Ne serait-ce pas notre Eric là, sur la dernière photo? 😉
MDR, à lui de le dire 😉
Effectivement, c’est moi le blondinet au deuxième rang.
Bonjour,
Enchanté et ravi de lire cet article et vos impressions.
Est-il possible de bénéficier de l’enseignement de Kajitsuka senseï ?
je réside en France et projette mon premier voyage d’ici quelque temps.
Cordialement,
Eric
Bonjour Ourtillane,
Je ne connais pas directement Kajutsuka sensei. Je pense qu’il faudrait que tu prennes contact à ce sujet avec ses élèves ou directement sur leur site web : http://ofuna.tripod.com/arakido/contact-us.html
Cordialement,
Nicolas
Bonjour Nicolas,
le temps passe si vite, je n’ai pas reçu de notification de ta réponse….
merci pour le lien, mais il ne fonctionne pas
Bonne continuation,
Cordialement,
Eric
Bonjour je pratique ke shinkage ryu je cherche une salle a paris cordialement
Bonjour,
Je ne connais pas personnellement de dojo de Shinkage ryu sur Paris.
Cordialement,
Nicolas
Bonsoir,
« Le Shinkage Ryu n’est pas une technique ** pour vous permettre gagner.
C’est une technique afin de ne pas perdre ». Cela vient des paroles de Yagyu Tajima no Kami : « Je n’enseigne pas des techniques pour vaincre mais des techniques pour ne pas perdre ».
Je ne connais pas de représentant de Kajitsuka sensei mais la branche Chikuosha du Yagyu Shingan de Shimazu sensei est représentée en Australie, France, Suède, Suisse et Russie.
Vous avez un site ici par exemple (France/Suisse) :
http://igakuri.free.fr
L’origine de la création du Shinkage ryu telle que vous la racontez est la même que celle que l’on retrouve un peu partout sur le net. Néanmoins j’ai une version légèrement différente qui m’a été racontée par Shimazu sensei : Kamiizumi était à la tête du Kage ryu. Il l’enseigna à Yagyu Sekishusai qui développa plus en avant le concept du Muto-dori (main nue contre sabre). Lorsqu’il montra à son professeur ce qu’il avait travaillé, Kamiizumi lui dit qu’il avait changé sa pratique et qu’il devait donc changer également le nom de l’école, d’où le « shin » (« nouveau »). Le « Yagyu » mis devant est juste une précision sur le nom du nouveau fondateur. On a retrouvé des écrits de Kamiizumi demandant à ses élèves d’aller étudier ce nouveau style de Yagyu Sekishusai et de changer le nom de l’école mais les élèves refusèrent.
Cordialement,
Chikuosha
Merci pour ces précisions.
Je vous souhaite un bon développement de l’école en France.
Cordialement,
Nicolas