Troisième et dernière partie de la traduction de l’interview de Toby Threadgill parue en anglais sur l’Aikidojournal : An Interview With Toby Threadgill, Menkyo Kaiden, Takamura ha Shindo Yoshin ryu. Cette interview a été réalisée par Marco Ruiz.
Un autre aspect de l’étude classique qui la différencie des écoles plus modernes est l’intégration d’éléments spirituels dans le cursus de formation. Le Shinto est profondément entrelacé dans le Takamura ha Shindo Yoshin Ryu. En tant que tel, un étudiant de Shindo Yoshin ryu est exposé à différents rituels du dojo et pratiques associés au Shinto. Les instructeurs doivent à la longue mémoriser différentes Norito (prières) et des rituels du dojo. Ces rites et prières fonctionnent aussi comme des symboles d’initiation à des niveaux spécifiques de l’étude.

Shinto Oharae effectué au hombu dojo du Shindo Yoshin kai
Oui. Au moment où un étudiant reçoit une licence Joden Gokui, il a mémorisé 8 ou plus Norito, beaucoup d’entre eux sont assez longs. Certains de ces Norito sont associés à des niveaux spécifiques de savoir et d’autorité au sein du Kai*. Si quelqu’un inconnu pour moi se réclame d’un certain niveau d’enseignement en TSYR, il doit être capable de réciter le Norito associé à ce niveau d’initiation. Tout cela est assez complexe et unique au TSYR.
Oui et non. Différentes écoles de Koryu exigent différents niveaux de familiarité avec la culture japonaise. Il est vrai qu’une Koryu nécessite souvent une étude beaucoup plus complète de la culture Japonaise que le budo moderne, mais cela varient d’une école à l’autre. Certaines koryu exigent la maîtrise de la langue japonaise. Toutes demandent une certaine familiarité avec les coutumes sociales japonaises.
Il me guidera toujours. Il m’a imprégné d’outils et de détermination pour continuer ma quête d’apprentissage. Lorsque vous recevez une licence de niveau avancé dans une Koryu, cela signifie que vous connaissez tous les kata et avez intériorisé l’omote*. A ce stade, vous commencez à saisir la véritable profondeur de l’ura, ou la face cachée de l’art. Comme vous continuez votre étude, on attend que vous développiez une expression personnelle de l’art toujours fidèle à ses origines. Avec chaque nouvelle génération dans un art martial classique, le maître de l’école a la responsabilité d’ajouter ce qu’il a absorbé de nouveau dans la tradition. C’est parce qu’il est impossible pour tout enseignant de transmettre 100% de ce qu’il sait. Donc, si je n’enseigne seulement exactement que ce que mon professeur m’a appris, quelque chose est inévitablement perdu. Si cela se poursuit à travers les générations successives une grande partie de la sagesse et de la connaissance de l’ura peuvent être perdues. Takamura m’a fourni les outils et les méthodes pour transcender son propre enseignement. Avec cette connaissance je peux accéder à la sagesse de tous les enseignants passés. La sagesse de nombreuses générations est disponible si l’étudiant a les outils et la détermination pour y accéder.
Eh bien, c’est certainement l’un de ses aspects. Les influences ésotériques Shinto sont une partie importante du TSYR mais il y a aussi des façons concrètes d’interpréter mes propos.
Bien sûr, pourquoi pas? Shu Ha Ri est la méthode classique de transmission des savoirs dans la culture japonaise. La première étape, «Shu», est de prendre un kata classique et vous immerger totalement à l’intérieur sans aucune pensée de variation. C’est la maîtrise de l’orthodoxie.
(Rire) Je ne vais pas entrer dans le bourbier de définir ce qui est ou n’est pas « aiki. » Laissez-moi juste dire que de nombreux principes stratégiques et tactiques existent sous des noms différents. Conclure que le nom ou la stratégie que vous employez dans votre art martial particulier, est unique ou inconnu par d’autres est assez illusoire et démontre une faiblesse qui peut être exploitée. Si vous supposez toujours que votre adversaire est aussi habile que vous l’êtes, vous avez une bien meilleure chance de survie ou de victoire.
Tous nos kata sont organisés et classés sur 6 rouleaux différents. Évidemment, un enseignant doit se rappeler scrupuleusement les katas individuels pour bien les enseigner, mais la structure organisationnelle rend cela plus facile. Heureusement, j’ai un sens inné pour le rappel visuel. Pour de nombreux étudiants cependant, c’est un exercice de mémoire. Nous avons quelques pratiques shinto ésotériques qui visent à développer un meilleur sens du souvenir, mais franchement, sans un bon talent pour la mémoire, un élève est en difficulté. Mon conseil est de tout écrire en détail dans un cahier ou prendre un caméscope. Maintenir notre mokuroku* est une tâche ardue.
C’est une question que l’on me pose tout le temps. Les gens voient ce type d’application en vidéo ou à une démo et pensent que c’est mis en scène ou bidon. Vous pensiez la même chose, non? Puis vous avez senti la technique en personne et avez changé d’avis. Pourquoi?
Ce type d’exécution est très difficile à expliquer mais je vais essayer.
Alternativement, un judoka faisant de la gonflette sur des appareils de musculation et ressemblant à M. Univers insuffle une mauvaise sensibilité à son corps et à son mental pour développer des techniques de judo de haut niveau. Il est impressionnant, mais malheureusement maintenant rare, de voir un technicien de judo de talent vaincre un adversaire plus grand et plus fort avec l’application très subtile du waza de Judo.
L’application d’un waza fin et sophistiqué nécessite des sens très développés. Takamura sensei avait l’habitude de toucher quelqu’un légèrement sur le bras et de dire « Je peux sentir l’intérieur de vos orteils. » Ce qu’il voulait dire était que par un contact léger, il pouvait sentir toute la structure corporelle de quelqu’un sans le menacer. À ce point l’adversaire serait très vulnérable sans s’en rendre compte. Takamura sensei était catégorique: ce n’est pas une force magique ou la forme mystique du «ki», mais une connexion physique très raffinée. Développer vos sens à un niveau extrême est un aspect très important du Myoden waza du TSYR, notre kata du niveau le plus avancé.
Pas nécessairement. L’application fine d’un waza est beaucoup moins décisive dans l’application à mains nues que dans un art comme le kenjutsu. Takamura sensei soulignait souvent que l’application fine du jujutsu avait plus de valeur comme une étude de la mécanique corporelle avancée et de la manipulation mentale que comme une technique de taijutsu pratique. Parfois, une entrée d’abord fine ou une feinte sophistiquée peuvent entraîner une application destructrice d’une technique de jujutsu classique, cependant, c’est avec une arme tranchante que ce waza très fin démontre vraiment sa supériorité. Si je peux tromper mon adversaire grâce à l’application fine de la technique de kenjutsu, une épée aiguisée devient décisive d’une manière que les projections ou les frappes ne peuvent pas.
Pas vraiment. Tout d’abord, le terme lui-même est problématique. Les gens sont constamment en train de débattre sur ce que le «ki» signifie. Certains sont tellement arrogants qu’ils pensent réellement qu’ils peuvent définir strictement le terme pour le reste d’entre nous. Regardez le kanji et les radicaux qui le créent. Comme beaucoup de termes japonais, «ki» est une définition générique et totalement dépendante du contexte. Il peut signifier des choses aussi diverses que la force de vie, l’esprit ou les processus mentaux. «Ki» dans notre expression du budo est un terme générique, au sens large, complexe et nuancé. «Ki» dans TSYR est l’intégration de la force interne, la perception de l’intention, la manipulation des processus involontaires physiques et mentaux, ainsi que plusieurs autres enseignements internes à l’école. Ainsi, «ki» n’est pas la source de notre puissance interne- la puissance interne est l’un des composants que nous utilisons dans le développement du «ki».

Joden Gokui, Jin no Maki, Ten no Maki et Joden Kishomon du TSYR de Toby Threadgill by Yukiyoshi Takamura (1998)
Malheureusement, les arts martiaux sont un environnement pour acheteur averti. Méfiez-vous de quiconque désireux de vous faire signer un contrat. Les meilleurs instructeurs d’arts martiaux ne gèrent pas leurs dojos comme des vendeurs de tapis. Plus important encore, toujours faire attention à votre instinct. Rappelez-vous vos objectifs initiaux et ignorez les démonstrations flashy ou le baratin commercial qui sont conçus pour vous distraire de votre raison initiale pour la pratique des arts martiaux. Si les raisons de vous entrainer changent, cela devrait être une évolution ou un parcours personnel basé sur l’expérience, pas quelque chose influencé par le battage marketing ou une démonstration fantaisiste. En ce qui concerne les enfants, je recommanderais un karaté traditionnel, le judo ou l’aïkido dans un dojo dirigé par un enseignant avec des références impeccables.
En conclusion, je dois dire que votre dojo est fantastique. C’est le type de dojo dont tous les pratiquants d’arts martiaux japonais rêvent. Pour rendre tout cela encore plus enviable, l’enseignement est à la hauteur de sa réputation. J’espère que vos élèves réalisent la chance qu’ils ont.
Eh bien, ils sont un bon groupe. Je suis chanceux de les avoir.
Quelque chose qui doit être souligné est que je ne suis qu’un gardien temporaire de TSYR. Mon devoir comme kaicho est de transmettre l’art d’une manière qui assure sa survie en tant que représentation vitale et vivante de ses origines. Les koryu sont dans une situation précaire de nos jours, même au Japon. Ils ne peuvent pas être reconstituées après que la transmission directe a été perdue. Si les étudiants potentiels ne reconnaissent pas leur valeur, les Koryu tomberont dans l’obscurité. Je pense que ce serait une perte tragique pour la grande communauté des arts martiaux.

Hombu dojo du Takamura ha Shindo Yoshin ryu à Evergreen, Colorado
Merci pour l’interview et l’introduction au TSYR.
Tout le plaisir est pour moi.
Notes :
Kai : organisation de l’école (Takamura ha Shindo Yoshin Kai)
mokuroku: catalogue du curriculum de l’école
omote : forme visible/externe des katas
waza : la technique
Merveilleux. Une tres belle interview, merci.
Il y a des perles sur à peu près tous les sujets, notamment sur l’énergie interne qui vaut son pesant de grand KiKi. Non pas de mystère mais des idées claires et du travail avec de bonnes méthodes.
A conseiller je fais circuler.
Léon
Oui, rien de magique mais comme diraient certains ce n’est pas un problème de compréhension, mais d’implémentation 🙂
Nicolas.
Ha, ha…merci pour cette suite.
J’aime beaucoup sa définition des Nairiki no Gyo car elle identique aux Tanren que je pratique.
kiaz
Oui je m’en doute un peu.
J’espère bien à l’avenir traduire 2 ou 3 articles de Mr Threadgill et Takamura sensei qui sont forts intéressants (notamment sur le shu ha ri et le contexte martial d’une pratique). Bon j’ai quelques vues aussi sur d’autres sources… Wait & see 😉